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pas osé disputer le terrain. En se réfugiant à l’état-major autrichien, il a suivi exactement le conseil qu’avait donné autrefois le maréchal Braun et fait écarter le comte de Broglie. On sait ce qui est advenu, et si, une fois les aigles prussiennes maîtresses des fortes positions, rien a pu arrêter leur élan vers le Danube. Sadowa est venu après un siècle justifier par une démonstration tardive le roi Auguste et le conseiller qui l’inspira.

Ce conseiller, en attendant, n’en restait pas moins, en face de Frédéric maître du terrain, dans une situation difficile et peut-être périlleuse. L’offense qu’il avait reçue au camp prussien (et qu’à dire vrai il avait été un peu chercher lui-même) faisait grand bruit dans toute l’Europe. À peine informé de l’affront fait à son ambassadeur, le roi de France retirait son ministre de Berlin, faisait partir de Paris l’envoyé de Frédéric, et cessait toute relation diplomatique avec la Prusse. De quel œil, après une telle rupture, le conquérant allait-il voir l’agent français qui en avait été ouvertement et de propos délibéré l’instigateur ? Supporterait-il la présence d’un ennemi si déclaré dans une capitale dont lui-même comptait faire son quartier-général ? Respecterait-il le caractère d’un ambassadeur accrédité auprès d’une cour qui n’existait plus ? À la vérité, le comte aurait pu couper court à la difficulté en suivant Auguste en Pologne, comme c’était peut-être le devoir de sa charge ; mais la reine n’avait pas accompagné son mari : elle restait à Dresde, malgré sa santé délicate et son âge déjà avancé, en proie à des privations et à des outrages sans nombre, exprès pour ne pas avoir l’air d’abandonner tout à fait la partie. Le comte croyait de son honneur de rester jusqu’à la dernière heure auprès de la mère de la dauphine pour lui prodiguer les consolations, quelquefois les secours pécuniaires dont elle avait besoin chaque jour. Une autre raison le retenait aussi : il ne voulait pas rentrer en Pologne sans savoir quelle figure il y allait faire. Lui donnerait-on les moyens de soutenir encore le drapeau du parti qu’il y avait formé lui-même ? Devrait-il au contraire assister la tête basse et l’arme au bras à l’invasion des armées russes, accueillies en triomphe par la faction qui avait toujours placé son espoir dans l’étranger ? Ce n’était pas à Varsovie, c’était à Vienne ou à Versailles qu’il pouvait se flatter d’arracher sur ce sujet, de la débile incertitude de la cour ou de ses alliés, une explication décisive. Il résolut de demander un congé pour retourner à Paris, en passant, s’il se pouvait, par l’Autriche, et jusque-là d’attendre et de braver de pied ferme dans son ambassade le mauvais vouloir de Frédéric.

Trois semaines s’écoulèrent ; le choc inévitable arriva enfin. « Le roi, dit Frédéric à son retour de Bohême, fut obligé de faire signifier à M. de Broglie à Dresde, où il établissait son quartier, que,