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toute intelligence venant d’être rompue entre les deux cours par le rappel des ministres, il n’était plus séant qu’un ambassadeur de France résidât dans un lieu où se trouvait sa majesté, et qu’il n’avait qu’à se préparer à partir incessamment pour se rendre auprès du roi de Pologne, auprès duquel il était accrédité. M. de Broglie reçut cette déclaration avec cet air de dignité et de hauteur dont les ministres français savent se revêtir lorsqu’ils se souviennent des belles années de Louis XIV. Cependant il n’en partit pas moins promptement pour Varsovie. M. de Broglie, ajoute-t-il, était l’homme le plus propre qu’on pût choisir pour brouiller des cours[1]. »

N’en déplaise au grand homme, les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi, et tant de faiblesse ne succéda pas, comme il le dit, à tant de hauteur. L’exact récit des faits se trouve dans un procès-verbal dressé le jour même de la notification prussienne par le secrétaire de l’ambassadeur de France, et inséré alors dans plusieurs gazettes d’Europe sans recevoir aucun démenti : nous en citons le texte même.

« M. le comte de Broglie s’étant rendu le dimanche 14 novembre, à onze heures du matin, à la cour de la reine de Pologne, son page l’est venu avertir une demi-heure après qu’il y avait dans l’antichambre un officier prussien qui demandait à lui parler de la part du roi son maître : sur quoi, M. l’ambassadeur l’a fait prier d’entrer dans un petit cabinet, près de la garde-robe de la reine. Cet officier, y étant entré, lui a annoncé qu’il était le lieutenant-colonel Cocey, adjudant de sa majesté le roi de Prusse, qu’il avait eu ordre de ce prince de se rendre chez l’ambassadeur pour lui porter ces propres paroles :

« Monsieur, le roi mon maître m’a chargé de dire à votre excellence qu’il lui défendait de paraître devant lui, qu’il lui conseillait de ne pas abuser de son indulgence ou complaisance (M. l’ambassadeur ne se souvient pas exactement duquel de ces termes M. Cocey s’est servi), et de lui ajouter qu’il savait très bien qu’il était accrédité auprès du roi de Pologne, mais que pour lui il ne le regardait que comme un particulier. »

« M. le comte-de Broglie, quoique extrêmement surpris de cette signification, lui a répondu : « Monsieur, je vous prie de dire au roi votre maître que je ne me suis jamais proposé d’avoir l’honneur de lui faire ma cour, que je ne sais pas en quoi j’aurais pu mettre à l’épreuve l’indulgence ou la complaisance de sa majesté prussienne, puisque je n’ai été chargé d’aucun ordre qui me mette à même de l’importuner le moins du monde, et qu’au reste, étant à la place où mon devoir m’appelait jusqu’à ce que j’eusse reçu l’ordre du roi mon maître, je comptais pouvoir rester tranquille à l’abri du droit des gens

  1. Frédéric II, Histoire de la guerre de sept ans, ch. V.