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qualités de leur génie national par les procédés d’un art étranger ; grattez le vernis ’ italien dont ils se sont frottés, et vous trouverez au-dessous l’indigène des Flandres ou de la Néerlande. Honthorst est le plus mémorable exemple de cette alliance contre nature ; il a gâté son robuste sentiment de la réalité sans atteindre un art plus élevé, et n’a réussi qu’à marcher sur les traces du plus vulgaire des maîtres italiens, Michel-Ange de Caravage. Quelques-uns, mieux inspirés, ont su cependant échapper aux désastreux effets de ces influences. Parmi ces derniers, citons les paysagistes Brill, qui, dans leurs décorations du Vatican, se sont rappelé les gaies parures des vertes campagnes de leur pays, les festons de ses feuillages, les arabesques de ses berceaux et de ses treilles, les dentelles de ses lierres, tout le frais et presque enfantin enjouement de la nature des Pays-Bas. Cela rit, jase, gazouille de chants d’oiseaux, murmure de bruits de feuilles, au milieu des salles et des corridors du sévère Vatican, comme une ballade en gentil patois flamand qui serait encadrée entre un chant de Virgile et un discours de Cicéron. Cette résistance, certainement involontaire, des Brill à l’influence italienne a quelque chose qui charme parce qu’elle est naïve, et on leur sait le meilleur gré du monde de ce patriotisme pittoresque qu’ils ont représenté à leur insu.

Un plus grand nom nous appartient, celui de Nicolas Poussin. Oh ! celui-là n’a point cherché à échapper aux influences de l’art italien ; il est allé droit à lui. A notre éternel honneur, il a mis le génie de la France aux prises avec le génie de cette terre illustre entre toutes, et le génie de la France n’a pas été vaincu dans la lutte. Son talent savant et sûr, armé de bon sens normand et d’élévation cornélienne, fit sortir l’art français de l’art italien, non comme un enfant d’adoption, élevé par faveur dans une école étrangère, mais comme un enfant légitime conçu en mariage régulier et légal. Dans ce mariage, l’art italien fut le père, mais l’âme de la France fut la mère, et il en sortit ces deux genres bien authentiquement français, la peinture dramatique et le paysage historique. Les outils et la science d’un Dominiquin et d’un Carrache servirent non pas à répéter des pensées italiennes, non pas à reproduire des images affaiblies de beauté, mais à faire parler par la peinture le même génie qui s’exprimait alors par un Corneille et un Racine. Poussin en effet, c’est Corneille et Racine en peinture. Sans s’arrêter à l’adoration superstitieuse de la beauté extérieure, il transporte sur la toile le sens éloquent des grandes scènes de la religion et de l’histoire, la moralité pathétique des belles actions humaines. Même caractère philosophique par la sévérité un peu abstraite que chez Corneille et Racine ; même esprit d’humanité, toujours noble et à l’antipode des