Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/834

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inverse l’un de l’autre, mais tous deux ont touché le suprême but.

Rubens a çà et là quelques beaux spécimens de sa magistrale exécution, par exemple le portrait d’un moine qui fut son confesseur, à la galerie Doria ; mais ce qui le recommande plus que toute autre chose, est un petit tableau qualifié à tort du nom d’ébauche, à l’académie de Saint-Luc. Voilà une simple ébauche qui vaut bien des toiles achevées. Le tableau représente trois blondes nues, les trois grâces ou les trois déesses du berger Paris. En le regardant, le titre fantasque d’une poésie contemporaine nous est revenu à la mémoire : Symphonie en blanc majeur. Le blanc y domine, ou, pour mieux dire, il est l’unique couleur, et cependant les nuances les plus variées et les plus heureusement assorties ne pourraient donner une harmonie aussi délicieuse. Une divine malice a présidé à l’arrangement de cette harmonie ; en effet, comme elle est produite par la réunion de ces trois beaux corps également blancs, parties inséparables d’un même tout, l’œil ne voit qu’un seul personnage dans le tableau, quoiqu’il y en ait trois en réalité, et il est transporté de l’ensemble, sans même songer qu’une des parties puisse être préférée ; ce qui démontre, à n’en pas douter, qu’on ne saurait choisir entre les grâces, ou bien nous aide à comprendre l’embarras où fut le berger Paris. C’est une de ces fêtes de printemps comme Rubens s’est amusé à en faire quelquefois, une de ces fêtes où il ne réunit que des nuances tendres, pour ainsi dire adolescentes, et dont la plus remarquable est à coup sûr l’Education de la Vierge, du musée d’Anvers ; seulement cette fête de printemps de Rome est terriblement païenne, tandis que celle d’Anvers est de la plus irréprochable pureté. Van Dyck aussi a quelques bonnes toiles à Rome. Nous avons remarqué particulièrement une petite Résurrection dans une des salles du palais du Quirinal. Le Christ s’élance hors du tombeau d’un vol plus que triomphant, irrésistible comme celui d’une balle et naturel comme le fonctionnement d’une faculté innée en nous. Ce n’est pas un miracle qui s’accomplit, c’est un être qui fait emploi d’une puissance inhérente à sa nature, comme l’oiseau fait usage de ses ailes et le poisson de ses nageoires. Ce peintre de toutes les aristocraties européennes ne pouvait point avoir oublié celle de Rome ; aussi les galeries des palais romains contiennent-elles plusieurs portraits dont le plus remarquable est certainement celui de madonna Lucrezia Colonna, au palais du même nom. Cependant le plus beau portrait de Van Dyck qu’il y ait peut-être à Rome n’est pas exposé aux regards du public, et un heureux hasard nous l’a fait découvrir dans l’atelier d’un jeune artiste, petit-fils adoptif d’Overbeck. Ce portrait, qui est celui d’un des Giustiniani de Gênes, est une de ces œuvres qu’on ne peut mieux louer qu’en