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de tout autres réceptions, ne put retenir quelques larmes. Louis, moins surpris, la calma. Il comptait, et il ne se trompait pas, sur un changement prochain des dispositions publiques. Il descendit à la Maison du Bois, ce petit palais extra muros habité naguère par le conseiller-pensionnaire, où il resta huit jours avant de faire son entrée officielle à La Haye et afin d’organiser à tête reposée les principaux rouages du nouveau gouvernement.

Il est bon de se rendre compte de la situation, des difficultés et des avantages qu’elle présentait. Nous avons déjà fait allusion aux difficultés ; elles étaient grandes. Il s’agissait de se faire aimer comme roi, et, dans l’esprit de Louis, de faire souche dynastique. Or non-seulement il arrivait en étranger au milieu d’un peuple dont il ignorait la langue, dont il ne savait pas même très bien l’histoire, d’un peuple très attaché à ses coutumes, à ses mœurs, revêche aux influences du dehors, opiniâtre dans ses répugnances comme dans ses préférences ; mais encore il ne se dissimulait pas que l’esprit républicain était toujours très fort dans le pays, et que, circonstance à peser, contrairement à ce qui se passait ailleurs, c’étaient surtout les hautes classes qui en étaient imbues. Il est vrai qu’on reconnaissait aussi combien il était difficile de maintenir une forme politique plus que jamais suspecte dans une Europe partagée entre les vieilles et la nouvelle monarchie ; mais alors quel Hollandais, même au sein du parti patriote ou de l’ancienne oligarchie, ne se disait pas que, s’il devait entrer dans les destinées des anciennes provinces d’être gouvernées par une famille royale, il n’y avait qu’une famille dont le prestige fût assez ancien, dont l’illustration fût assez populaire, dont le caractère national fût assez reconnu, pour ceindre la couronne néerlandaise ? N’était-il pas évident en revanche que nul n’eût de sa vie songé à Louis Bonaparte, s’il n’avait eu un frère dont la volonté tenait pour le moment lieu de raison et de loi ? Si Louis avait été envoyé en Hollande comme gouverneur d’un pays conquis, ou s’il n’avait point pris sa propre royauté au sérieux, sa position eût été plus simple. Il avait à sa disposition des forces suffisantes pour s’imposer à la nation récalcitrante ; mais c’est une position dont il ne voulait à aucun prix. Il entendait se faire aimer ; il voulait être roi de par l’assentiment de son peuple. Si cette intention lui faisait honneur, encore une fois comment la réaliser ? On a beau parler dans l’histoire de royautés fondées par la ruse ou la violence, la même histoire démontre à qui l’étudie attentivement qu’on ne s’improvise pas roi, qu’il faut pour régner avec quelque chance de durée tout au moins la complicité indirecte de la nation, et Louis sentait fort bien que, s’il était réduit à n’appuyer son trône que sur la terreur qu’inspirait son frère, il eût mieux fait de n’y pas monter.