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pu le suivre avec l’assentiment de son frère, qui n’était pas encore engagé dans sa guerre contre la Prusse et la Russie, et il aurait eu ainsi des excuses plausibles toutes trouvées pour résister plus tard aux écrasantes exigences du chef de l’empire français. Il n’en voulut rien faire. Il aimait à entourer son trône d’une armée relativement considérable. Une marine n’ajoute pas grand’chose au lustre immédiat d’une cour ; elle est toujours trop loin de la capitale. De plus Louis Bonaparte tenait beaucoup à une garde royale, et une garde royale suppose une armée dont elle est l’élite. Il eut sa garde, elle lui coûta fort cher, et je n’ai vu nulle part qu’elle lui ait rendu des services proportionnés aux sacrifices qu’elle entraîna. Le recrutement de l’armée active resta donc volontaire ; seulement il fut résolu qu’on organiserait une schuttery ou garde nationale, spécialement destinée à la défense du territoire et dont devaient faire partie tous les citoyens au-dessous de cinquante ans. Le roi Louis eut l’idée aussi, et une idée qui déplut beaucoup, de destiner à la profession des armes tous les orphelins, élevés dans les institutions de charité. Il avait été frappé du grand nombre d’établissemens de bienfaisance et surtout d’orphelinats créés en Hollande ; mais selon lui on élevait mal les orphelins, et il ne pouvait s’accoutumer à ces costumes bigarrés, étranges, qu’ils portaient depuis des siècles et qu’ils portent encore aujourd’hui. Il ignorait sans doute que ces uniformes bizarres, mais pittoresques, sont la sauvegarde des orphelins dans leurs allées et venues à travers les rues des cités qu’ils parcourent en liberté. Le public les aime ainsi, les traite en enfans de la communauté, leur accorde parfois ce qu’il refuserait à d’autres. Il n’est pas rare que les jours de kermesse les promeneurs visitant les boutiques de la foire achètent spontanément des jouets ou des friandises pour les orphelins qu’ils rencontrent. Aussi le sentiment public se révoltait à la pensée que les pauvres enfans, au malheur de n’avoir ni père ni mère, devraient joindre celui de devenir forcément soldats. Ce fut même la cause de la seule émotion populaire qui troubla le règne de Louis Bonaparte. Quand les officiers recruteurs vinrent à Rotterdam pour enlever de l’orphelinat les jeunes gens en âge de servir, le peuple s’attroupa pour s’opposer à leur départ. Pourtant le lendemain il fallut céder, la ville allait être occupée, et puis il faut toujours en revenir à ceci, que la Hollande en était au point de tout céder au roi qu’on lui avait imposé, de peur qu’on ne le lui enlevât, et qu’en le perdant elle ne perdît tout.

Enfin l’année 1806 touchait à peine à son terme qu’avec une précipitation qui fut vue d’un très mauvais œil à Paris, le roi de Hollande décréta la création de deux ordres de chevalerie, celui de