Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/867

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Union et celui du Mérite. Les critiques acerbes du grand frère qui se moquait de cette hâte de faire parade des privilèges royaux n’étaient pas cette fois sans raison[1]. Le mécontentement impérial fut encore plus grand lorsque la nouvelle parvint à Paris que le prince avait institué des maréchaux et des colonels-généraux, des maréchaux pour une armée de 20,000 hommes, et dont plusieurs avaient à peine fait la guerre ! Louis Bonaparte aimait passionnément à régner, à faire le roi. Cette faiblesse l’entraîna depuis à d’autres bévues sans toutefois empêcher le pays de lui savoir gré des trois résolutions, alors capitales, qu’il avait prises : paiement intégral des dettes, indulgence dans l’interprétation des lois de la guerre appliquées à l’intercourse commerciale, refus absolu d’introduire la conscription. Tel était néanmoins le vice fatal de sa situation que les mêmes choses qui lui valurent une popularité réelle auprès de ses sujets le perdirent dans l’opinion de son frère.


VIII.

Afin de donner une idée générale de l’esprit qui marqua les quatre années du règne de Louis Bonaparte en Hollande, nous avons devancé quelque peu l’ordre chronologique des événemens. Cela nous permettra de reprendre avec plus de clarté et de suivre plus rapidement le fil d’une histoire subordonnée, comme on peut s’y attendre, aux agitations colossales dont l’Europe fut le théâtre sous le premier empire ; nous pourrons ensuite revenir sur la brouille de plus en plus prononcée entre l’empereur et le roi de Hollande, et qui hâta la catastrophe finale.

Une chose préoccupait le roi Louis presque autant que l’organisation de son royaume : c’était le soin de sa santé, qui, nous le savons, était chancelante, mais dont il paraît s’être un peu exagéré le

  1. Dans l’entourage de l’empereur, on en rit aussi et on en médit. Louis, après avoir deux ou trois fois modifié les insignes de l’ordre de l’Union, s’était enfin arrêté à un modèle qui lui plaisait beaucoup. La croix portait un faisceau à neuf pointes, symbolisant les neuf provinces réunies désormais en corps de nation, avec la devise eendragt maakt macht, l’union fait la force, de l’autre côté le lion de Zélande et la devise doe wel en zie niet om, fais le bien et ne t’inquiète pas du reste. Sur le grand cordon se trouvaient reproduites les armes des principales villes de Hollande, de sorte qu’on y voyait un assortiment assez nombreux de lions, d’aigles, de cigognes, de léopards, etc. Les petites chroniques du temps racontent que Louis envoya des modèles à Paris pour qu’ils fussent montrés à Hortense, alors près de sa mère. « C’est une ménagerie que cet ordre-là, s’écria Joséphine, il n’y aura que des bêtes dedans. » Le mot fut charitablement rapporté à la cour de La Haye. Louis voulut se donner le plaisir de la riposte. « Savez-vous, dit-il un jour de réception, pourquoi l’on n’ose plus montrer de miroir à l’impératrice Joséphine ? C’est qu’elle ne peut plus se voir dedans. »