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Le budget de 1808, préparé par l’infatigable Gogel, devait pourvoir à un nouveau déficit de 30 millions de florins. Un nouvel emprunt était nécessaire ; de nouvelles taxes furent prélevées pour en assurer le service. Tout à coup le roi reçut une lettre confidentielle de l’empereur, qui, à la date du 28 mars, ne lui offrait ni plus ni moins que la couronne d’Espagne, dont il disposait déjà, comme on peut le voir un mois avant la fameuse entrevue de Bayonne. « Le climat de la Hollande ne vous convient pas, disait Napoléon, la Hollande ne peut se relever de ses ruines ; répondez seulement oui, et l’affaire est conclue. » Louis eut l’honnêteté de refuser cette offre insidieuse. Sans doute l’Espagne était un bien plus grand royaume que la Hollande, un pays catholique et monarchique de longue date : Napoléon savait qu’il prenait son frère par son faible en mettant en avant la question de climat, et en 1808 rien ne permettait encore de prévoir que l’astre du premier empire subirait sa première éclipse dans la patrie du Cid ; mais le roi pensait qu’il y avait un contrat d’honneur entre lui et la nation hollandaise, et que son départ serait le signal de cette annexion dont sa présence sur le trône de Hollande constituait le seul empêchement sérieux. Bien que cette négociation dût être tenue fort secrète, il en transpira quelque chose. Je suis un peu tenté de croire que Louis mit quelque coquetterie dans ses indiscrétions ; bientôt du reste il ne fut plus nécessaire de garder le secret, et les Hollandais lui furent reconnaissans de sa décision. Au surplus le roi s’ingéniait de toutes les façons à flatter l’amour-propre national. Depuis le mois d’avril 1807, il avait changé son nom de Louis en son équivalent hollandais Lodewyk. Il s’escrimait de son mieux pour apprendre à parler le hollandais, et n’y parvenait guère ; en vain faisait-il venir auprès de lui des professeurs et des littérateurs distingués pour les consulter sur les moyens de vaincre les difficultés que, comme la plupart des Français, il rencontrait dans le maniement de cette langue aux aspirations fréquentes et à l’accentuation très despotique[1]. Cependant il y gagnait de rapprocher de sa personne des hommes éminens jusqu’alors un peu boudeurs, et qu’il réussissait aisément à captiver par ses manières affables. C’est ainsi qu’il s’assura les

  1. Le hollandais mal accentué est inintelligible aux Hollandais eux-mêmes. Les courtisans complimentaient le roi sur ses progrès dans la langue nationale ; mais il parait que ces progrès étaient fort lents. Du moins on m’a raconté que, se croyant assez sûr de lui pour adresser en hollandais une allocution à des nationaux admis à son audience, il commença par leur dire qu’il « était enchanté de les voir réunis autour de leur roi (koming), « qu’il faut prononcer à peu prés kön’ng, ö très long et la syllabe finale brève, avec la claire consonnance toutefois de l’n et du g) ; mais il prononça koning comme s’il eût voulu dire konyn (pron. konein), qui signifie lapin, et je laisse à juger du singulier effet que dut produire cette distraction royale.