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emparée de la maison Scipion. Ces hideux insectes, plats, roussâtres et d’une prodigieuse agilité, quittent, dès que la nuit vient, les fentes de murailles qu’ils habitent ; ils se glissent partout, pullulent à l’infini, sont un véritable fléau, et font concurrence aux grillons qui chantent près des fours leur chanson monotone. Il y aurait un moyen bien simple de purger la boulangerie de ces hôtes incommodes : ce serait d’y entretenir deux ou trois hérissons ; en peu de temps, ils auraient détruit cette désagréable engeance.

La pharmacie centrale, qui jadis était réunie à l’hôpital des Enfans-Trouvés, placé alors au parvis Notre-Dame, occupe sur le quai de la Tournelle depuis 1812 l’ancien hôtel de Nesmond, où la communauté de la Sainte Famille, formée par Marie Bonneau, veuve de Beauharnais de Miramion, habita depuis 1691 jusqu’en 1790. L’entrée est médiocre, et, quoique le bâtiment principal ait une certaine ampleur, il n’offre rien qui soit digne d’attention. C’est là que l’assistance publique tient en dépôt l’es médicamens qu’elle fournit aux hôpitaux, aux hospices, et qu’elle distribue dans les maisons de secours. L’aspect général est celui d’une immense droguerie ; un parfum subtil y domine, — celui de l’éther. Des bocaux énormes remplis de liquidés de toute couleur et de toute saveur, encapuchonnés d’un couvercle de tôle peinte, sont méthodiquement rangés sur des étagères qui font tout le tour d’une vaste salle ; dans des mannes et prêts à partir, on voit des rouleaux de sparadrap, des tas de petits pots empilés, des bâtons de réglisse noire venus des Calabres, des fagots de réglisse en bois, des onguens grisâtres et qui ont vilaine apparence, des flacons où les cristaux d’iodure de potassium ressemblent de loin à des morceaux de sucre cassés menu, des bouteilles où l’huile d’amandes douces, transparente et jaune, luit comme de l’or pâle en fusion, des liasses d’emplâtres chargés de poudre de cantharides, des pommades de toute sorte, des teintures de toute espèce. Dans un cabinet réservé à l’économe, les deux portes d’une armoire se referment à clé sur des flacons d’une figure peu rassurante ; c’est là une réserve digne de Locuste, de Sainte-Croix et d’Exili : arsenic et cyanure, opium et strychnine, digitaline et morphine, curare et noix vomique, isolés dans leur prison de verre, semblent rassemblés là pour des œuvres néfastes et redoutables. Lorsqu’on approche de cette armoire diabolique, on sent une insupportable odeur de musc ; au milieu des poisons, on conserve cette substance empestante, qui coûte fort cher, et dont quelques médecins usent encore dans le traitement de certaines maladies nerveuses.

L’herboristerie répand ce doux et pénétrant parfum des fleurs desséchées, si exquis, si suave, et qui semble l’émanation de l’âme