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jusqu’à ce que, épuisé, il retombât en friche pour huit ou dix ans. Il eût été aussi insensé de parler ici de drainage, de clôtures, d’étables, d’assolement alterne, qu’il l’eût été de proposer au lord anglais d’envoyer en Irlande le capital nécessaire pour mettre ses domaines en bon état. Argent, instruction, traditions agricoles, en un mot tout ce qui est indispensable pour un bon système d’exploitation manquait au cultivateur. Néanmoins, à mesure que la population augmentait, il conquérait la lande ; la bêche à la main, il mettait en valeur le bog et la montagne. Seulement c’était partout la même culture misérable et épuisante, la multiplication des mêmes asiles de la plus extrême indigence. Ainsi l’extension de la culture, au lieu d’être comme ailleurs le signe et le résultat de la prospérité générale, n’était en Irlande que l’envahissement du paupérisme, rural.

Point de commerce et, sauf dans la province protestante d’Ulster, point d’industrie, les lois anglaises en ayant arrêté le développement ; comme unique gagne-pain, l’agriculture la plus arriérée ; comme principale nourriture, la pomme de terre ; point de classe intermédiaire entre les propriétaires excessivement riches et les cultivateurs extrêmement pauvres ; la population augmentant en raison même de son indigence : tel était l’état social de l’Irlande quand, après 1815, la baisse du prix des produits agricoles vint y amener une épouvantable crise. Les fermages n’étant plus régulièrement payés, la plupart des middlemen furent ruinés et disparurent. Les propriétaires se virent alors en présence de cette tourbe de malheureux, incapables de payer la rente ou d’introduire un bon système de culture et produisant à peine la quantité de denrées alimentaires dont ils avaient besoin pour subsister. La population et l’abondance des bras, au lieu d’être pour la terre une source de richesse, en était le fléau. La ruine fut générale, la crise atteignit toutes les classes.

Que fallait-il faire pour sortir de cette affreuse situation ? On pouvait concevoir pour cela deux moyens. Le premier consistait à montrer aux Irlandais à tirer meilleur parti des ressources naturelles d’un sol qu’Arthur Young, qui s’y connaissait, avait déclaré l’un des plus fertiles de l’Europe. L’exemple de la Lombardie, de la Flandre, de la Chine, du Japon, prouve qu’une population, même plus dense que celle de l’Irlande, peut trouver dans l’agriculture seule, grâce à de bons procédés d’exploitation, le moyen de rendre un pays riche et heureux ; mais rien ne s’improvise moins qu’une transformation agricole. Nulle part, — l’expérience en a été faite partout, — la routine n’offre plus de résistance aux procédés nouveaux que dans les campagnes ; même dans les pays où il y a de l’instruction et du capital, les mauvais systèmes de culture