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pays, trouvent ordinairement que le fermage n’est pas excessif. Il y a d’ailleurs deux faits qui le prouvent : c’est d’abord que les middlemen faisaient un grand bénéfice en sous-louant, et ensuite qu’aujourd’hui les locataires peuvent vendre le droit d’exploiter la ferme qu’ils occupent même sans bail, c’est-à-dire ce que l’on appelle le good will. Ce droit n’aurait aucune valeur, si le landlord exigeait la rente la plus élevée que la terre peut produire. Ceux qui imposent des rack-rents, ce sont les nouveaux propriétaires qui ont acheté des terres dans le bureau des biens surhypothéqués (encumbered estates). Ils ont fait un placement, ils veulent en tirer le plus possible. Aucun lien traditionnel ne les rattache aux tenanciers, ils ne considèrent que l’intérêt commercial. Ils louent aussi cher qu’ils peuvent. Les cultivateurs qui trouvent leurs conditions trop dures n’ont qu’à ne pas les accepter, disent-ils. Ils n’obligent personne, ils ne font que se conformer à la loi économique de l’offre et de la demande. Qui donc peut leur en faire un reproche ?

On a remarqué que ceux qui possédaient de grands domaines louaient moins cher que ceux qui n’avaient qu’une petite propriété. La raison en est simple. Les seconds pour vivre sont forcés d’arracher tout ce qu’ils peuvent à la concurrence des locataires, tandis que les premiers, ayant du superflu, peuvent se montrer moins exigeans. C’est donc à tort que l’on a accusé les landlords irlandais d’extorsions inhumaines. S’il est un pays, dit lord Dufferin, où l’on pousse les rack-rents aux dernières limites, c’est la Flandre : les baux n’y durent que trois, six et neuf ans au plus, et à chaque expiration du terme le fermage est augmenté, quand il n’est pas fixé par adjudication publique, — moyen infaillible d’arracher aux nombreux concurrens tout ce qu’ils peuvent et même plus qu’ils ne peuvent donner. Que les propriétaires irlandais en fassent autant, et ils seront dénoncés comme des bourreaux par le parlement et par la presse, et certainement assassinés par leurs tenanciers, tandis qu’en Flandre les conditions les plus dures sont tolérées par l’opinion, subies en silence par le fermier. Voici d’où provient cette différence d’appréciation : en Flandre et dans tous les pays où la propriété est répartie dans un grand nombre de mains, le locataire, pressuré par l’élévation constante de la rente, vit au milieu de paysans propriétaires qui, eux aussi, louent le plus cher qu’ils peuvent. Son père, son frère et lui-même peut-être, s’ils possèdent quelques ares de terre, agissent de même. Chacun se vante du haut prix de location qu’il a obtenu, comme il s’enorgueillit d’avoir bien vendu ses denrées. Louer le plus cher qu’on peut paraît donc chose toute naturelle, et il ne vient à l’esprit de personne d’y chercher un grief contre la classe des propriétaires ou contre la propriété. En Irlande, les propriétaires sont peu nombreux, environ 9,000, et parmi