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plante les pommes de terre et celui où on les recueille, le cultivateur est livré à l’oisiveté. Il a la terre, il a des bras, mais il ne sait pas les employer ni tirer parti de sa ferme. Ce n’est point précisément paresse, car si on lui offre du travail, même à 78 centimes par jour, il acceptera ; c’est pure ignorance, il suit la routine, il fait comme font les autres ; il n’a aucune tradition ni aucune connaissance des bonnes méthodes. Il croupit dans la misère la plus abjecte, tandis qu’il pourrait arriver à une certaine aisance et transformer le pays en un jardin. Rien ne l’empêche d’imiter le petit cultivateur des Flandres, qui à force de soins intelligens est parvenu à donner au sable rebelle qu’il occupe une valeur de 4,000 francs l’hectare, à obtenir de cet hectare du colza, du lin, du houblon, de la chicorée, valant de 800 francs à 1,600 francs. Les conditions de la location sont bien plus dures en Flandre qu’en Irlande ; mais les Flamands ont d’excellentes traditions agricoles qui remontent au moyen âge, à une époque où l’instruction et le bien-être étaient très répandus. Puis les nombreux propriétaires, disséminés dans tous les villages, se font un point d’honneur de mettre les fermes qu’ils exploitent ou qu’ils louent en bon état d’entretien. Ils servent de modèle, ils donnent le ton ; chacun par amour-propre s’efforce de les imiter. La petite propriété aux mains des paysans exerce ainsi sa bonne influence, même sur ceux qui n’en possèdent point. C’est un sentiment naturel à l’homme des champs que le désir d’avoir à soi la terre qu’il féconde de son travail. Sur le continent, il peut espérer satisfaire un jour ce désir par des prodiges d’économie et de bonne administration ; cet espoir le soutient et le stimule sans cesse. En Irlande, la propriété est interdite aux cultivateurs par une double barrière. D’abord le droit d’aînesse et les substitutions conservent les domaines dans les grandes familles en second lieu, par suite de l’obscurité des titres et des complications légales, l’acquisition d’un bien-fonds est accompagnée de tant de dangers, qu’il faut une étude préliminaire faite par un bon légiste avant de s’y risquer. Les frais que cette enquête exige sont trop considérables pour qu’on puisse songer à acheter une petite propriété. Le paysan irlandais n’a donc aucun espoir qui le pousse à mieux faire, aucun avenir, aucun exemple à suivre. Il continue à végéter, ignorant et pauvre, au milieu de ses pareils, non moins ignorans et pauvres que lui. La misérable culture de l’Irlande est en grande partie le résultat de la grande propriété féodale.

Un autre fléau spécial à ce pays, « l’absentéisme, » y a aussi contribué. A la suite de l’économiste Macculloch, on a nié les- maux causés par l’absentéisme en disant : « Qu’importe où la rente se dépense ? Les théoriciens de la balance du commerce y voyaient un