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demander à l’état qu’il leur assure un revenu égal, inscrit au livre de la dette publique, plus une indemnité correspondante aux chances d’augmentation de valeur dont leurs terres sont susceptibles. Le professeur Thorold Rogers défend la même idée ; mais il veut qu’en outre on frappe d’un triple income-tax le revenu laissé aux anciens propriétaires, de sorte qu’après les avoir expropriés on les mettrait à l’amende. Telles sont les mesures les plus généralement réclamées, et on ne peut se dissimuler qu’elles sont appuyées par tout le clergé et par la plupart de ceux qui peuvent se dire les organes des cultivateurs irlandais.

S’il était vrai que des mesures révolutionnaires fussent indispensables pour sauver l’Irlande des maux dont le privilège l’a jadis accablée, comme le croit M. Mill, je préférerais le procédé de la révolution française, qui, au prix d’une confiscation brutale, a du moins établi une situation nette et créé des propriétaires indépendans ; mais, si l’état, pour indemniser les landlords expropriés, doit réclamer des fermiers le paiement de la rente, il deviendra l’objet unique de toutes les haines agraires. On se plaint de l’absentéisme ; mais les expropriés seront tous des absens qui dépenseront au dehors le revenu net de toute l’Irlande. Aujourd’hui beaucoup de propriétaires consacrent une partie de la rente aux améliorations, et par leur présence et leur activité favorisent le progrès de l’agriculture et de la société. Ces influences disparaîtraient, et il resterait un pays grevé d’un énorme tribut au profit de l’aristocratie anglaise. « J’admets, a dit M. Gladstone à ce sujet, que le mal est si grand qu’il n’est point d’alternative qui ne soit préférable à l’état de choses actuel ; seulement ce serait une bien triste extrémité, s’il fallait, pour améliorer le système agraire en Irlande, recourir à une révolution sociale, dont le principal effet serait de dispenser la richesse et la propriété de l’accomplissement de leurs devoirs et d’augmenter cette classe, malheureusement déjà trop nombreuse, d’oisifs qui ont de l’argent et rien de plus, et qui semblent n’avoir d’autre but dans la vie que de nous apprendre à multiplier nos besoins et à élever le niveau de notre luxe, quand nous n’avons pas encore découvert le secret ni même bien compris le problème des moyens à employer pour diminuer la misère dont nous sommes entourés. » Dans les pays où a la fixité de la tenure » s’introduit naturellement, comme cela a eu lieu dans les provinces septentrionales du Portugal et en Groningue dans les Pays-Bas, les faits prouvent qu’elle est favorable au bien-être des cultivateurs et au progrès de l’agriculture ; mais, imposée brusquement en Irlande dans les : conditions présentes, elle serait accompagnée des plus graves inconvéniens.

M. Leslie nous parait avoir indiqué le véritable remède ; il a vu,