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garantir la sûreté des voyageurs, c’est aux voyageurs à se la procurer à eux-mêmes par les moyens qu’ils jugent les meilleurs. Si le voyageur grec, M. B., qui fut arrêté l’an dernier sur la route de Patras à Pyrgos, avait pu traiter d’avance avec le brigand Maghiras, il n’eût point passé près de quatre mois dans les plus âpres montagnes pour payer ensuite beaucoup plus de 6,000 francs. On a reproché au gouvernement grec de n’avoir pris de mesures contre le fléau ni cette année ni les précédentes. Grâce à cette inaction, d’honnêtes habitans du pays ont été gardés dans des cavernes, rançonnés ou même massacrés. La faute n’en est pas plus au ministère actuel qu’à ceux qui l’ont précédé ; à vrai dire, elle retombe moins sur les chefs du pouvoir, qui ont souvent été dans l’impuissance d’agir contre le brigandage, que sur d’autres personnes qui ont jugé de leur intérêt de le soutenir.

En Grèce, il y a eu, je ne veux pas dire il y a deux manières de soutenir le brigandage : on le tolère par peur, on l’exploite par cupidité ou par ambition. Quand une bande existe dans une montagne, le premier sentiment qu’éprouvent les gens du voisinage, c’est la peur ; chacun craint pour ce qu’il a, pour son argent, son champ, sa boutique ou sa maison. Si l’on cède, on est un peu exploité ; si l’on résiste, on s’expose au pillage, à l’incendie, au meurtre même. Entre les deux maux, on choisit le moindre, quoiqu’il soit le plus certain, et, au lieu de se concerter et de s’armer pour se défendre, on se résigne ; on laisse les malfaiteurs venir dans les villages s’asseoir au foyer domestique entre le père et les enfans, on leur fournit ce qu’ils demandent, et on leur promet le secret. Il arrive que des villages entiers deviennent, avec leurs maires et leurs adjoints, les serviteurs des brigands et leurs plus sérieux pourvoyeurs. Si c’était là des faits isolés, on comprendrait que de pauvres villageois sans défense tombassent ainsi par terreur sous l’empire d’une troupe d’hommes plus semblables à des bêtes féroces qu’à des humains ; mais il arrive aussi que de grands propriétaires, habitant les villes, y remplissant même de bonnes fonctions, tolèrent cette exploitation de leurs propres fermes, sans s’apercevoir que leur tolérance n’est pas loin de ressembler à la complicité, et qu’il n’y a qu’un pas de la complicité au crime. S’il se trouvait qu’un tel propriétaire eût entre les mains, en tout ou en partie, la force publique, que diraient les nations civilisées d’une pareille faiblesse ? Je ne veux nommer personne ; mais, si la chose existe, je crois, par affection pour les Grecs, qu’il est bien temps que la voix des honnêtes gens se fasse entendre, que leurs réclamations forcent les timides à s’enhardir.

La nation grecque n’est point responsable de ces fautes. Elle est dispersée sur une terre montagneuse et peu habitée ; elle est pauvre, dépourvue, de moyens de défense ; elle est la victime et non le