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dispersée par la tempête (5 avril 1588)[1], entré à quinze ans au collège de la Magdelène, condamné à l’étude de la philosophie scolastique qui régnait dans Oxford, mais soutenu par le goût des lettres antiques qui conservèrent toujours un grand charme pour lui. Il sort de l’université, habile en logique, mais fort dégoûté d’Aristote, aventure ordinaire aux intelligences supérieures de cette époque de recherches et de nouveautés. Ayant à peine vingt ans, il est chargé de l’éducation du fils de William Cavendish, plus tard comte de Devonshire, et parcourt avec lui la France et l’Italie. Là il trouve partout en discrédit la philosophie des classes, et il se rattache plus étroitement aux lettres grecques et latines. Il se confirme dans une sorte de scepticisme dédaigneux qui n’attend rien du savoir d’autrui. Cependant, à son retour en Angleterre, sa bonne fortune le conduit auprès de Bacon ; il jouit de son entretien, il lui sert de secrétaire. Il s’entend répéter à toute heure que l’aristotélisme est une spéculation vaine et stérile, et qu’il n’y a de science réelle que celle qui se fonde sur l’observation des faits. En même temps il voit de près les affaires publiques ; il apprend que le gouvernement est une chose si utile, que le pouvoir est si nécessaire à la société, que ceux qui l’exercent sont, par le service même qu’ils rendent aux hommes, au-dessus de leurs critiques comme de leurs scrupules, et d’avance absous de leur part de faiblesses et de passions. Le mal même, s’il sert à la conservation, à la paix de la société, est un bien, car tel est le sophisme qui régnait à la cour des Stuarts, comme partout où prévaut la raison d’état. La conséquence est que tout contrôle, tout obstacle, toute résistance, à plus forte raison toute agression envers le pouvoir est un mal, c’est le crime d’état véritable. Ce royalisme théorique prit tellement possession de Thomas Hobbes que, voyant peu après la mort de Bacon éclater les premiers mouvemens parlementaires qui présageaient la révolution, il imprima, l’année même de la pétition des droits, une traduction de Thucydide pour prémunir ses concitoyens contre les dangers de la démocratie (1628)[2]. Puis, ayant perdu le comte de Devonshire et son fils, il alla chercher quelque distraction à Paris, dont il aimait le séjour, et fut bientôt rappelé en Angleterre pour ramener sur le continent un autre jeune noble du nom de Clifton.

  1. Stabat et Hispanis in partibus inclyta classis.
    Hostilis, nostro mox peritura mari,
    dit Hobbes dans son autobiographie en vers latins. Il en a écrit une autre très abrégée en prose, à laquelle H. Blackbourne a joint un supplément. Hobbes, Oper. Philos., t. Ier", v. XIII, XXII, l. XXXI. Édition donnée en 1839 par sir William Molesworth.
  2. Is democratia ostendet quam sit inepta
    Et quantum cœtu plus sapit un as homo.
    Th. Hobbes vita, p. LXXXVIII.