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Dans ce voyage, il étudia plus qu’il ne l’avait fait encore les Elémens d’Euclide, et s’éprit d’un goût malheureux pour la géométrie, moins touché des vérités qu’elle démontre que des exemples qu’elle donne d’un emploi correct de la logique.

En 1634, attaché à l’éducation de l’héritier du comte de Devonshire, il fit un quatrième voyage en France. Il avait commencé à comprendre qu’il pouvait y avoir une autre philosophie que celle des écoles. Dans l’aversion que celle-ci lui inspirait, il n’avait longtemps goûté que l’histoire et la poésie ; mais un jour que dans une société de savans il était question de la cause de la sensation, quelqu’un demanda d’un ton de mépris : « Qu’est-ce donc que le sens ? » Personne ne répondit, et Hobbes s’étonna que de si habiles gens ne sussent pas seulement ce que c’était que leur sens. En y réfléchissant, l’idée lui vint que, si toutes les parties d’un corps étaient en repos ou se mouvaient d’un mouvement uniforme, toute différence et par conséquent toute sensation disparaîtrait, que la cause de toute chose devait être cherchée dans la diversité des mouvemens. Ce principe, dont l’application lui parut universelle, s’affermit en lui par ses entretiens avec le père Mersenne, qu’il connut à Paris, et avec Galilée, qu’il vit à Pise, et qui l’initia à ses découvertes. Le premier le lia avec Gassendi, et, lui apprenant que Descartes était d’avis que tout dans la nature était régi par des lois mécaniques, lui inspira le désir de le connaître. Cette opinion, commune à Descartes et à Newton, très vraie en physique générale, à une époque du moins où l’on n’avait pas fait la distinction si usitée et si importante aujourd’hui entre le dynamisme et le mécanisme, devait plaire à ceux qui, tels que Hobbes, voulaient expliquer par le mouvement les phénomènes de l’âme. Déjà se formait dans sa tête le plan d’une philosophie où la géométrie, la mécanique et la physique s’amalgameraient avec la logique et la science de l’homme et de la société.

Mais Descartes était retiré en Hollande depuis 1629. C’était le moment solennel où il publiait les trois immortels ouvrages qui devaient changer la face de la philosophie et des mathématiques. Mersenne, voyant Hobbes si vivement intéressé par ses confidences, lui communiqua le manuscrit des Méditations en lui demandant de lui dire ses objections avec franchise. Hobbes les écrivit, Descartes les lut, et il y fit une réponse dont nous ne citerons que ces mots : « avec une aussi juste raison qu’il conclut que l’esprit est un mouvement, M. Hobbes pouvait conclure aussi que la terre est le ciel. »

Cette réponse dédaigneuse devait peu toucher un esprit qui n’était pas moins que celui de Descartes lui-même inaccessible aux idées des autres. Tout rempli des siennes, Hobbes retourna en Angleterre, où il esquissa ses premiers écrits ; mais à peine de retour il avait trouvé les Écossais en armes, les presbytériens menaçans