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« Dans la position où je suis, sire, je n’ambitionne rien ; je n’oserais même plus espérer de laisser une réputation sans tache, si je perdais votre bienveillance et vos bontés. Tant que je serai convaincu que je les mérite, je me figurerai que je les possède ou que je les aurai un jour ; mais si cette dernière espérance m’était enlevée, sire, je ne serais plus bon à rien, et j’aimerais mieux de me jeter dans la mer que de supporter un jour qui me deviendrait odieux. L’on ne me reprochera jamais sans injustice d’avoir changé de sentiment en passant la frontière. Mes vœux secrets ont toujours été les mêmes en tout temps et dans toutes les circonstances. Nul n’a l’esprit plus modéré que moi ; il n’y a point de trône ou puissance, de gloire, si j’étais capable d’en acquérir, que je ne sacrifiasse avec joie à la vie simple et obscure d’un de vos sujets. Si votre majesté pouvait en douter, je la prierais de me mettre à l’épreuve. »


Le 9 octobre 1807, après s’être plaint de l’arrestation des Hollandais enlevés par des agens français déguisés, et d’une lettre pleine de reproches lui témoignant de la part de l’empereur « autant de colère que peu d’estime, » il ajoutait :


« Je ne mérite aucun de ces sentimens, et je dois me résigner à les supporter par la persuasion où je suis que votre majesté est trop juste et trop clairvoyante pour les avoir réellement. Je dois donc penser que je suis dans ce pays pour être un obstacle à vos desseins ou bien à la politique de la France. Je m’en convaincs chaque jour davantage par les tracasseries et les querelles que l’on fait à ce pays sur les prétextes les plus frivoles, et surtout alors que votre majesté, dont je suis l’ouvrage, n’ordonne pas que l’on respecte les droits les plus sacrés du peuple soumis à son frère… Ce sont ces considérations, qui prennent aujourd’hui un caractère irrécusable, qui me forcent à supplier votre majesté, si mon établissement dans ce pays et celui de mes enfans n’entrent pas dans ses projets, de me sortir de ce pays ; je n’ai jamais eu la prétention et l’espoir de pouvoir m’y soutenir sans votre appui et votre protection tutélaire, et, si votre majesté ne peut m’accorder sa confiance et son estime, je dois quitter ce pays, de la ruine duquel je serais bientôt l’instrument. Votre majesté m’a parlé de la réunion de ce pays à la France dans des termes assez décourageans pour moi, puisque tout ce que je pouvais faire pour la consolidation de mon gouvernement contrariait nécessairement ce système… Il ne me reste qu’à supplier mon frère de me désigner un asile dans le midi où je puisse me retirer pour toujours. C’est la grâce qu’implore de votre majesté un frère qui, par son désintéressement, son caractère et ses sentimens, était digne autant que qui que ce soit de devenir votre ami véritable. »


On se prend involontairement de pitié pour l’infortuné prince