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obligé de s’abaisser à ce point devant un protecteur dont il ne peut se passer. Cependant il faut l’avouer, ces longues phrases plaintives ne vont point droit au fait, et l’on comprend que le grand frère se soit écrié un jour dans une de ses fréquentes impatiences : « Ce n’est pas le temps des jérémiades, c’est de l’énergie qu’il faut montrer. » Le roi Louis aurait mieux fait de mettre à son frère le marché à la main et de lui déclarer net qu’à défaut d’une réparation ou au moins d’un désaveu son abdication suivrait immédiatement le premier acte qui attenterait à la dignité de sa couronne et à l’indépendance de son royaume. Napoléon eût été fort embarrassé, s’il avait dû détrôner si tôt son frère à la face de l’Europe. Les autres monarchies qu’il avait fondées et qu’il se réservait de fonder encore eussent été discréditées du même coup, et il eût été clair pour tout le monde qu’elles n’étaient que des satrapies déguisées.

Nous avons déjà parlé de plusieurs querelles que Napoléon fit à son frère pendant les quatre années que celui-ci passa en Hollande ; mais nous sommes loin d’en avoir épuisé la liste. Ainsi Louis se plaint dans ses Mémoires de manquemens systématiques aux usages réglant les rapports officiels des souverains entre eux, et dont la violation semblait calculée pour le rabaisser aux yeux de ses sujets. Il aurait voulu se faire couronner solennellement, l’empereur le força d’ajourner cette cérémonie, à laquelle nous croyons qu’il attachait en effet trop d’importance. Il nous apprend aussi lui-même qu’à son retour en Hollande, après la mortification qu’il avait essuyée lors de la campagne de Prusse, il demanda au général Dupont-Chaumont, ministre de France à La Haye, des explications catégoriques sur les intentions de son frère, qui lui paraissaient inconciliables avec l’octroi qu’il lui avait fait d’une couronne. M. Dupont-Chaumont eut la franchise de lui avouer qu’à en juger par les instructions qu’il avait reçues il ne pouvait considérer l’établissement de la monarchie hollandaise comme quelque chose de définitif. La Suède avait été entraînée dans la coalition, et la France lui avait déclaré la guerre. Comme les bâtimens suédois étaient au premier rang des neutres qui entretenaient encore un peu de vie commerciale en Hollande, le roi avait différé aussi longtemps qu’il avait pu de traiter la Suède en puissance ennemie. La présence de navires suédois dans les ports hollandais fut dénoncée à l’empereur par Gohier, l’ex-président du directoire, qui était consul-général de France à Amsterdam. Aussitôt partit de Paris l’injonction de saisir immédiatement ces navires et de les déclarer de bonne prise. Il fallut obéir, et cependant cette confiscation ordonnée par le roi de Hollande équivalait à une violation du droit des gens, puisque les bâtimens saisis étaient venus sur la foi d’une tolérance dont rien ne pouvait leur faire prévoir la fin soudaine. A chaque instant arrivaient de Paris