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Madras le protecteur de plusieurs de ces petits souverains, entre autres du rajah de Mysore avec 3 millions et demi de sujets et de celui de Travancore, qui commande à 1 million d’hommes. Le premier était encore en 1863 le même personnage que sir Arthur Wellesley avait mis sur le trône soixante-cinq ans auparavant, en sa qualité de plus proche parent de l’ancienne famille royale de Mysore, après la mort du fameux aventurier Tippou-Saheb. Loin de justifier la confiance des Anglais, il avait si mal gouverné ses états, que depuis longtemps on lui avait imposé en quelque sorte un conseil judiciaire, sous la forme d’une commission de fonctionnaires européens, auxquels toute affaire administrative était dévolue. Ce rajah tenait au reste une cour splendide, avec ce mélange de barbarie et de civilisation qui est le propre de toutes les cours asiatiques. Il se promenait dans un fastueux carrosse de fabrique européenne ; mais ce carrosse était attelé de six éléphans en place de chevaux, et quand il faisait à ses hôtes l’honneur de leur offrir la main, il fallait que ceux-ci eussent bien soin de se déganter, la religion hindoue ne permettant pas à un brahmane de toucher la peau d’un animal. Quant au rajah de Travancore, c’était un moins magnifique potentat, mais par compensation il s’occupait avec un peu plus de souci des intérêts de ses sujets, et, recommandé par les progrès qu’il avait su réaliser, il se sentait en mesure d’atteindre les deux récompenses les plus enviées par les souverains indigènes : le titre honorifique de chevalier de l’Étoile de l’Inde et les fonctions plus réelles de membre du conseil du vice-roi.

Peut-on s’étonner qu’au retour de ses entrevues avec ces souverains natifs sir William fût dépourvu de confiance dans la capacité des Hindous ? Au lieu des énergiques colons de l’Australie au milieu desquels il venait de passer quatorze ans, il ne rencontrait que gens mous et indolens. Après avoir déclaré que les habitants de la Nouvelle-Galles du Sud n’étaient pas mûrs pour le régime parlementaire, encore moins était-il enclin à laisser prendre aux Hindous part dans la gestion de leurs propres affaires. « Je crains, écrit-il un jour, que le gouvernement ne veuille adopter le mot d’ordre : l’Inde pour les Hindous, et n’essaie de gouverner pour et par eux. Mes sentimens sont tout l’opposé de cela. Je ne puis me fier à eux. » A l’en croire, les Anglais ne doivent pas oublier un seul instant qu’ils tiennent ce pays par la force des armes. Il est juste assurément de rendre le peuple heureux et content ; mais il diffère tant des Européens par les mœurs, par la religion, par le caractère, que les deux races, celle des conquérans et celle des vaincus, ne pourront jamais s’amalgamer.

Un autre jour, il écrit à lord Canning : « Mes cheveux se sont dressés sur ma tête quand on m’a dit que j’allais être affligé d’un