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XII

Les sources françaises authentiques nous font en grande partie défaut sur ce qui s’est passé entre Louis et Napoléon pendant cet hiver de 1809 à 1810 qui allait décider du sort de la Hollande. Heureusement nous en avons un récit très circonstancié, très impartial, écrit par un témoin oculaire ou du moins très bien placé pour tout voir et tout savoir, le baron Röell, ministre des affaires étrangères du roi de Hollande, qui accompagna son souverain à Paris, l’assista tout le temps de ses conseils, et qui, sentant qu’il aurait un compte à rendre à son pays, a pris soin de noter jour par jour tout ce qui pouvait jeter quelque lumière sur les démêlés, aussi embrouillés que pénibles, auxquels il était appelé à prendre part[1]. C’est lui qui sera notre principale autorité pour ce qui va suivre.

Une seule chose réjouissait le roi quand il partit pour Paris : c’était l’espoir de retrouver le nouveau prince royal, qu’il n’avait pas vu depuis deux ans et qu’il voulait ramener avec lui. Ses sentimens d’antipathie à l’égard de la reine avaient plutôt augmenté que diminué, parce qu’il savait qu’Hortense partageait entièrement les idées de l’empereur sur son gouvernement. Aussi ne put-il se résoudre à descendre dans son hôtel ; il préféra partager celui de madame-mère, en se chargeant, dit-on, des deux tiers de la dépense pendant tout le temps de son séjour à Paris. Quelques heures après son arrivée, il eut avec l’empereur un entretien qui se passa en récriminations mutuelles, sans aboutir à un résultat quelconque. Les entrevues officielles avec le roi de Saxe, la reine d’Espagne, le roi de Wurtemberg, prirent un certain temps. Le roi et la reine de Hollande se faisaient des visites de politesse. Mais dès le 3 décembre l’empereur prononça dans son discours au corps législatif quelques paroles du plus mauvais augure pour le maintien de l’indépendance hollandaise. « La Hollande, dit-il, placée entre l’Angleterre et la France, en est également froissée. Cependant elle est le débouché

  1. VV. Fréd. Röell, conseiller-pensionnaire d’Amsterdam avant la révolution de 95, était de ces orangistes modérés qui virent avec regret le départ forcé de la maison d’Orange, mais qui, depuis la paix d’Amiens, ne trouvèrent plus dans leurs principes politiques de motifs sérieux pour refuser de participer aux affaires de l’état. Très estimé du roi, qui avait en lui une grande confiance, il rentra dans la vie privée après l’insuccès de ses efforts pour conserver à sa patrie une ombre d’indépendance, et n’en sortit qu’à la restauration, où le roi Guillaume Ier lui confia le ministère de l’intérieur. C’était un homme intègre, dont la mémoire est encore très respectée parmi ses compatriotes.