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puissante végétation a dû frapper tous les voyageurs. Les troncs fossiles, tantôt à demi charbonnés, tantôt pénétrés de sucs calcaires on ferrugineux, ont presque partout conservé leur apparence ; ils semblent parfois entassés régulièrement par la main du bûcheron qui les aurait coupés ; les feuilles, les fruits, à l’état d’empreintes, ont encore leur forme et leurs nervures. A les voir accumulés en si grand nombre, on croirait fouler le sol d’une forêt récemment dépouillée. Mac-Clure et le docteur Amstrong parlent avec étonnement, dans leurs relations, des amas de bois à moitié pétrifiés qu’ils rencontrèrent sur la côte nord-ouest de la terre de Banks. Ces bois couvraient les flancs d’une série de collines solitaires, au fond d’un paysage tristement encadré par un entassement confus de pics bizarres dont la neige, fraîchement tombée, blanchissait la cime. Les troncs étaient couchés dans le plus grand désordre, et au milieu d’eux on apercevait çà et là des souches et des rejetons encore en place. Ces découvertes ne sont pas isolées ; il semble que cette nature polaire, autrefois vivante, se soit endormie à un moment donné. Elle est demeurée depuis lors ensevelie sous la glace, comme Herculanum sous la cendre ; rien n’a plus vécu dans l’extrême nord, mais aussi rien n’a changé ; l’ancien aspect demeure pétrifié, mais intact, là où le frottement de la glace ne l’a pas enlevé. En pénétrant au fond de certaines vallées écartées, en gravissant ces pentes désertes semées des ruines de la nature, c’est vraiment le sol d’autrefois que l’on foule ; ces troncs, ces feuilles, tous ces débris des anciennes forêts, n’ont éprouvé d’autre changement que celui qu’ils doivent aux eaux calcaires ou ferrugineuses qui sont venues les durcir et les incruster.

L’un des principaux gisemens est situé sur la côte occidentale du Groenland, à Atanekerdluk, par 70 degrés de latitude, dans la presqu’île de Noursoak, que domine du côté de la terre un énorme glacier. Près du rivage, les tronçons de bois fossile alternent avec des lits de charbon qui ont été exploités à plusieurs reprises ; mais si l’on gravit un ravin escarpé, à une hauteur de 1,000 pieds anglais, on trouve des lits entièrement pétris de feuilles et d’autres débris empâtés dans une roche en grande partie ferrugineuse. La masse des feuilles entassées est vraiment surprenante ; des troncs encore en place, des fruits, des fleurs, des insectes, les accompagnent, et attestent qu’il s’agit bien d’une végétation développée sur les lieux mêmes. Là, selon M. Heer, s’élevait une vaste forêt où dominaient les séquoias, les peupliers, les chênes, les magnolias, les plaqueminiers, les houx, les noyers et bien d’autres essences. L’Islande aussi et le Spitzberg ont fourni mn grand nombre de végétaux aujourd’hui entièrement absens de ces parages. Ceux de l’Islande, où