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définitive que le cadre flexible d’une vie coordonnée et régularisée. Qu’a-t-elle fait depuis quelques années ? Quand on a voulu exploiter son réveil et la pousser trop loin, elle s’est détournée avec une indifférence sceptique, et elle a laissé aller ceux qui étaient pressés ; quand on a voulu la retenir et l’endormir encore, elle a marché, marché avec mesure, mais sans s’arrêter. Elle s’est échappée pour ainsi dire d’un régime où elle était à l’étroit, et on n’a eu que le temps de lui ouvrir prudemment la porte. La France s’est moralement émancipée, elle est revenue au grand air. Voilà où elle en est aujourd’hui : elle est engagée dans cette laborieuse et patiente entreprise d’une restauration de toutes les garanties de liberté légale, et, qu’on y songe bien, elle n’a point désormais d’autre issue devant elle, il faut qu’elle réussisse. Ce n’est pas seulement l’intérêt du pays, c’est l’intérêt des pouvoirs publics qui ont accepté de se plier à une transformation devenue inévitable, c’est l’intérêt des assemblées qui se sont associées à cette œuvre, c’est l’intérêt du ministère qui s’est chargé d’inaugurer la politique nouvelle, comme c’est l’intérêt des oppositions prévoyantes qui ne bornent pas leurs vœux et leurs idées à un rôle purement hargneux et négatif ; mais ce système parlementaire invoqué aujourd’hui par tout le monde, même par ceux qui ne lui demandaient pas de revenir, il faut le pratiquer sérieusement, si l’on tient à ce qu’il reste une garantie au lieu de devenir un péril, si l’on veut qu’il porte ses fruits. Il faut entrer franchement dans l’esprit des institutions nouvelles. Il faut laisser à leur plein jeu les ressorts de ce puissant et ingénieux régime. En un mot, il faut bien qu’on se dise qu’on n’arrivera à rien, si, au lieu d’expédier virilement les affaires du pays, on se met à batailler sans cesse sur des pointes d’aiguilles, à faire assaut de susceptibilités et de prérogatives, à énerver ou à dénaturer le mécanisme parlementaire par les exagérations ou les réticences. Le danger est de s’épuiser dans l’équivoque, de se perdre dans un dédale de propositions confuses et de résolutions inconséquentes. On croit faire beaucoup, on ne fait rien. Les volontés s’émoussent, les rapports se troublent ou s’aigrissent, et on n’a plus d’autre ressource que d’aspirer à la fin d’une session laborieuse comme à la délivrance, en se disant d’un commun accord que c’est assez pour une fois. Avec quelque complaisance, on peut se faire illusion ; ce n’est pas là certainement la meilleure manière d’entendre et de pratiquer le régime constitutionnel.

Au fond, quelle est la situation du ministère ? Il ne le sait pas lui-même, et il ne peut pas le savoir. Il est dans cette position étrange d’un gouvernement qui, en allant tous les jours au corps législatif, doit se demander dans quel groupe d’opinions il cherchera son équilibre, de quel côté il trouvera sa majorité. C’est la représentation la plus exacte d’un pendule politique oscillant d’un point à l’autre avec une parfaite régularité d’ailleurs. Il y a quelques semaines, M. Émile Ollivier, pour la troisième ou la quatrième fois depuis six mois, saisissait bruyamment