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l’Angleterre est infiniment utile, comme celle de l’homme et du cheval ; mais il faut être l’homme et non le cheval. » C’est à peu près ce que le comte de Broglie pensait de l’alliance autrichienne et du traité de Versailles. Il voulait bien être le cavalier qui monte en selle et tient la bride, non le docile animal que l’éperon ou le mors fait obéir.

Mais cette disposition prudente et méfiante n’était nullement du goût des puissans du jour. Le comte de Broglie devait éprouver ce que remarqueront plus d’une fois dans leur vie ceux qui seront mêlés aux affaires publiques dans notre pays de cerveaux mobiles et d’imaginations légères : c’est qu’il est souvent plus aisé de combattre en face une opinion dominante que de la tempérer en la partageant. Quand une idée s’est une fois emparée de nos têtes ardentes, elle y règne sans partage, et toute réserve est plus mal vue qu’une contradiction directe. Toute précaution prise en souvenir de la veille ou en prévision du lendemain contre l’entraînement de l’heure présente est taxée de pusillanimité et d’étroit esprit de routine. On en était là, quant à l’alliance autrichienne, à Versailles et même à Paris en janvier 1757. Aux yeux de Mme de Pompadour et de son boudoir politique, c’était leur œuvre, et la marquise y mettait la même vanité que, plus jeune, elle avait pu porter dans l’invention d’une coiffe ou l’agencement d’une parure ; y faire une objection, si petite qu’elle fût, c’était l’offenser autant que de lui refuser un compliment ou de lui découvrir une ride. Comment mettre en doute la sincérité de ses bonnes amies Thérèse et Elisabeth ? Pour les courtisans, l’amitié de l’Autriche, c’était la mode, qu’il est toujours ridicule de ne pas suivre et de bon goût d’exagérer. Par toutes ces raisons, que le comte appelait lui-même l’enthousiasme du nouveau système, il se voyait très mal venu quand il parlait de l’Autriche ou de la Russie, non en ennemi, mais en homme avisé qui se méfie du lendemain et veut prendre ses sûretés en affaires. C’étaient là, disaient en chœur tous les beaux parleurs de l’Œil-de-Bœuf, les marques d’un esprit petit et arriéré qui ne comprenait rien à la grande politique. Sa prédilection pour les Polonais surtout, l’intérêt qu’il portait à ce coin de terre perdu dans les neiges du nord, paraissait un vrai radotage, et ce nom ne s’échappait jamais de ses lèvres sans faire sourire.

Ce qui achevait de faire paraître chagrins et maussades, les froids calculs de l’ambassadeur en Pologne, c’était le contraste de la gaîté complaisante et de l’entraînement adulateur qu’affectaient les autres agens de la diplomatie officielle ou secrète. Il fallait voir opérer, par exemple, le chevalier Douglas à Saint-Pétersbourg. Celui-là ne se créait pas de soucis inutiles, et, pour obtenir de l’impératrice Elisabeth un coup d’œil bienveillant ou mieux encore un mot de sa main