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ne peux plus rien faire en Pologne ni de bon ni de décisif. A la vérité, un nouveau ministre n’y travaillera pas avec beaucoup plus de succès que moi ; mais il aura de moins l’embarras d’essuyer des reproches,… et celui de dire des choses contraires à beaucoup d’égards à celles que votre majesté m’avait ordonné de dire et de persuader ; il pourra même me sacrifier jusqu’à un certain point pour se tirer d’affaire, si le besoin l’exige. » Revenant alors en soupirant sur cette ambassade de Vienne qu’il n’osait plus solliciter, mais qui était toujours à ses yeux le seul poste où il fût possible de concilier le ménagement de tous les intérêts anciens et nouveaux de la France, il saisissait cette dernière occasion de bien établir aux yeux du maître la véritable mesure et comme la nuance exacte de ses sentimens sur les affaires courantes. « Je supplie votre majesté, disait-il, d’être persuadée que personne ne sera plus empressé que moi de concourir toujours à l’exécution de ses ordres, et que je suis très éloigné de regarder l’alliance qu’il lui a plu de faire avec la cour de Vienne comme contraire à ses intérêts. Je suis peut-être le premier de ses ministres qui l’a proposée et celui qui l’a le plus désirée ;… mais je conviens que je croyais qu’il était nécessaire d’y mettre beaucoup de restrictions, dont quelques-unes ont été oubliées dans le premier traité, et je crains fort qu’il n’arrive pareil inconvénient dans celui auquel on travaille actuellement, si ceux qui en font l’œuvre ne prennent pas la précaution de consulter ceux qui ont quelque connaissance des objets importans qu’il est à propos de considérer… S’il est vrai, ajoutait-il, que ce soit M. de Stahremberg (l’ambassadeur autrichien) qui ait combattu ma demande pour l’ambassade de Vienne, après avoir sauvé la Bohême, comme j’ai eu le bonheur de le faire, de l’irruption du roi de Prusse, et ayant entre mes mains les remercîmens que M. de Kaunitz m’a faits au nom de l’impératrice, l’opposition que le ministre de cette princesse apporterait à ma nomination serait la preuve la plus authentique qu’on me croirait un peu trop éclairé sur les affaires qui se traitent actuellement, et qu’on me croirait plus occupé de faire mon devoir que de chercher uniquement à plaire à une cour dont les intérêts, quoique unis à certains égards, diffèrent des nôtres sur beaucoup d’autres. Je voudrais mériter cette opinion[1]. »

Louis XV ne daigna pas entrer dans ces considérations ou compatir à ces délicatesses ; il lui convenait tout ensemble d’éviter toute tracasserie de la part des deux impératrices et de leur fidèle amie Mme de Pompadour, et de conserver à Varsovie, vaille que vaille, un

  1. Le comte de Broglie au roi, 22 décembre 1756, 2 janvier 1757. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)