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grand-général, qui l’avertissait que, « voyant bien qu’il n’y avait plus désormais à compter sur l’appui de la France, il ne négligerait pas à l’avenir l’occasion qui pourrait lui être offerte par d’autres amis et des voisins (le roi de Prusse apparemment) de reconquérir les libertés de sa patrie. » C’était le congé lestement donné à la France par ses amis.

Il ne restait plus au comte de Broglie qu’à demander le sien à son gouvernement. C’est ce qu’il fit en effet dès le commencement de 1758, et il l’obtint du ministre, par le retour du courrier, dans des termes à la vérité très flatteurs, mais avec un empressement qui l’était moins. « Voici, lui écrivait le bon Tercier en lui envoyant la licence de revenir, la permission sur laquelle vous voulez que je vous félicite. Je le fais bien sincèrement, puisque vous le désirez, et que je m’intéresserai toujours vivement à vos convenances. Je sens d’ailleurs que vous avez besoin de respirer un autre air pendant quelque temps : celui du pays où vous êtes est furieusement froide mais patience, les saisons se succèdent, revenez pour vous rétablir, et retournez ensuite faire un roi de Pologne, car vous le ferez, si vous le voulez, malgré les difficultés et les tracasseries[1]. »

Est-ce l’optimisme de l’honnête Tercier qui gagna son correspondant, ou bien, au moment de quitter un pays aimé, théâtre des première succès de sa jeunesse, et d’abandonner une tâche qui lui avait coûté sept années de veilles et de travaux passionnés, une inexprimable douleur s’empara-t-elle de cette âme ardente et tenace ? Je ne sais ; mais toujours est-il qu’à peine le comte se vit-il en possession du congé qu’il avait sollicité avec hauteur au nom de sa dignité blessée, qu’il parut hésiter à en faire usage ; il retarda de plusieurs jours, puis de plusieurs semaines, son départ. Il mit tout en œuvre pour bien établir que son absence n’était pas un adieu définitif, et qu’on le verrait revenir au premier jour. Avant de se mettre en route, il adressa par écrit à M. Durand, qui restait comme résident à Varsovie, des instructions émues et presque touchantes pour l’engager à ne pas lâcher la partie, à garder, à rappeler autour du drapeau de la France les rares amis que la disgrâce n’avait pas encore tout à fait découragés. « Un peu de patience, lui disait-il, je vais préparer à Paris des matériaux dont j’espère que nous pourrons faire usage. En attendant, il convient que vous entreteniez avec prudence les espérances de M. Braniçki. Priez-le d’entrer dans la situation, qui entre vous et moi est inexprimable. Il serait dangereux de la lui dépeindre tout entière ; mais, par des

  1. M. Tercier au comte de Broglie, 14 janvier 1758. (Correspondance secrète) ministère des affaires étrangères.)