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intestines dont nous venons de parler, l’oppression que les autorités musulmanes avaient fait peser sur les Hindous, la haine que ces deux races se portaient, l’action énervante du brahmanisme, — qui avait parqué les hommes pour leur ôter le plus puissant stimulant de la volonté, celui d’aspirer à une position meilleure, — l’absence de toute idée de patrie remplacée par un attachement excessif au village, enfin l’incommensurable misère du peuple, laquelle le poussait à s’enrôler sous le drapeau qui lui promettait l’existence sans se demander dans quelle direction on le ferait marcher, telles sont les causes qui en Orient ont porté l’Angleterre à la hauteur où nous la voyons.

Dans l’état où se trouvaient alors ces contrées, la compagnie des Indes, comme puissance politique, devait avoir le sort de tous les états de la péninsule : elle devait ou s’agrandir ou tomber. Dans cet extrême Orient, la modération, la justice même, sont prises pour de la pusillanimité ; quand on ne parle pas en maître, on inspire de l’audace à ses adversaires, car le droit de la force y est seul reconnu. Appelée, tantôt à se défendre contre les entreprises d’un voisin turbulent, tantôt à protéger un allié contre d’injustes agresseurs, tantôt à servir d’arbitre entre deux états en guerre l’un avec l’autre, la compagnie des Indes devait avancer par ondulations jusqu’à ce qu’elle eût étendu son pouvoir sur la péninsule tout entière, appuyée d’ailleurs, comme elle l’était, sur une armée bien disciplinée à laquelle l’élément européen donnait une grande force. Le gouvernement métropolitain, par la vigueur de son organisation et la fixité de sa marche, y a contribué pour une part considérable. Il était formé de deux corps : le législatif et l’exécutif, la cour des propriétaires et celle des directeurs. La première était composée des actionnaires, ayant un droit de vote proportionné à la quotité des fonds placés dans la société. La seconde, composée de vingt-quatre membres choisis par les actionnaires, remplissait tout à la fois les fonctions de conseil d’état, d’administrateur et de pouvoir exécutif. Elle tenait des séances hebdomadaires ; elle était divisée en un certain nombre de comités, ayant chacun son contingent spécial d’affaires et sous sa direction un nombre plus ou moins considérable d’employés. Le tout formait une administration compliquée dont les bureaux se trouvaient dans un modeste édifice situé dans Leadenhall-street.

Aussi longtemps que la compagnie resta une association marchande, le gouvernement ne s’en occupa que pour la protéger et lui assurer le monopole du commerce de l’extrême Orient, privilège qu’elle dut payer plus tard par un impôt annuel de 200,000 livres sterling ; mais lorsqu’elle élargit son cadre, se substitua à des princes régnans et prit les rênes d’un empire, il fallut modifier ses