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arrondissemens entiers, et de grands capitaux y étaient engagés. Les planteurs étaient parvenus, soit par des avances habilement ménagées, soit par d’autres moyens, à tenir à un tel point les cultivateurs sous leur dépendance que ceux-ci avaient perdu toute liberté, et se trouvaient de véritables esclaves au pouvoir de leurs propriétaires. Exaspérés, ils abandonnèrent cette culture, et, triomphant de leur timidité naturelle, ils chassèrent les commis de leurs maîtres et en tuèrent plusieurs. Le gouvernement, surpris de cette grève et craignant qu’une culture industrielle aussi considérable ne fût compromise, nomma une commission qui devait étudier à fond la situation et en proposer le remède. Il prit en même temps un arrêté provisoire par lequel les cultivateurs étaient obligés de remplir leurs engagemens, quelque onéreux qu’ils fussent, sous peine d’amende et d’emprisonnement. Les planteurs s’en prévalurent pour faire arrêter, condamner et mettre à l’amende un grand nombre de grévistes.

La commission, dans le sein de laquelle tous les intérêts étaient représentés, siégea trois mois, entendit 134 témoins, élucida tous les côtés de la question, mais ses conclusions ne tranchaient pas les plus graves difficultés. Le conseil législatif reprit la question en sous-œuvre, et vota la première lecture d’une loi en vue de toutes les grandes cultures industrielles, par laquelle était rangée au nombre des délits la rupture des engagemens civils. Les paysans appelaient cette loi le bill de l’esclavage (sîavery bill). Le ministère anglais, en ayant eu connaissance, fit savoir au vice-roi que, si cette loi passait, il y opposerait son veto. Cette justice comminatoire fut le coup de grâce d’une culture qui ne subsistait que sous la verge de l’oppresseur. Elle fut compromise ou abandonnée dans quatre arrondissemens, à la grande douleur des capitalistes, qui y perdirent plus de 30 millions de francs ; mais, si la culture de l’indigotier subit momentanément un point d’arrêt, — car la terre du Bengale lui est trop favorable pour qu’elle ne reprenne pas son élan sous de meilleures conditions, — d’autres cultures firent de rapides progrès. L’on n’ignore pas quel fut l’effet de la guerre d’Amérique sur la culture du coton indien. Manchester, ne pouvant plus aller chercher sa matière première au-delà de l’Atlantique, tourna ses regards vers l’Hindoustan, et y plaça sa planche de salut. Ce n’est pourtant pas cette guerre qui fut l’origine du mouvement ascensionnel que la culture du coton prit aux Indes orientales ; depuis 1785, la production du coton a triplé tous les quinze ans. Dans la dernière période, qui atteint 1860, elle avait un peu faibli, bien que le prix de la matière n’ait jamais cessé d’augmenter ; mais depuis le commencement de la guerre civile américaine et pendant les quatre ou cinq ans qui l’ont suivie, l’agriculture et le commerce ont réalisé des bénéfices énormes. L’on pourrait presque dire sans exagération que l’argent