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digestif tout entier. Le sang est un laboratoire où les métamorphoses les plus variées et les plus insaisissables s’accomplissent dans des momens très petits, si petits qu’il est impossible à l’œil du biologiste d’en surprendre toutes les phases et d’en suivre la succession précipitée. La chimie tout entière que nous connaissons se déroule dans ce laboratoire ; mais il s’en déroule une autre qui nous échappe et dont nous ne faisons qu’entrevoir les lois. En effet, ces principes immédiats qui entrent dans le sang sous forme de matière grasse, de matière sucrée et de matière albuminoïde, qui en sortent sous forme de cholestérine, de leucine, de tyrosine, d’urée, de créatine, etc., ne passent pas d’emblée d’un état à l’autre. Durant tout le cours des combustions respiratoires, ils éprouvent mille modifications isomériques et transformations spécifiques que nous ignorons. Nous ne surprenons que le commencement et la fin du phénomène, mais le milieu se dérobe à nous. Pas une molécule organique n’y est identique à elle-même dans deux instans consécutifs. Il se fait là, dans ces myriades de capillaires, un travail dont nous n’avons aucune idée. Ces métamorphoses sont de véritables équations chimiques en mouvement, ce sont les séries mathématiques de la vie analogues à celles que le calcul infinitésimal étudie. Quand viendra le Leibniz qui nous dévoilera les procédés d’analyse applicables au sang qui brûle ?

Quoi qu’il en soit, cette mobilité du liquide sanguin est justement ce qui le rend susceptible d’éprouver des modifications de toute sorte sous l’influence des matières miasmatiques que renferme quelquefois l’atmosphère. La substance albuminoïde, qui est la partie fondamentale du plasma sanguin se met sans peine à l’unisson des molécules virulentes d’origine extérieure, et une fois qu’un point est altéré, l’altération se transmet de proche en proche, molécule à molécule, dans toute la masse. Le sang et à sa suite les tissus les plus mobiles éprouvent ainsi une modification isomérique qui les rend incapables de remplir leurs fonctions normales et amène souvent la mort. En particulier, dans le cas de choléra, l’albumine du sang subit une transformation qui la rend incapable de rester unie à l’eau qui la tient liquide, et en détermine la coagulation dans les vaisseaux. De là s’ensuit fatalement l’arrêt de la circulation, de la respiration et de toute autre action vitale. M. Robin a développé du reste avec beaucoup de force cette idée qu’il n’y a pas de virus, mais seulement des humeurs devenues virulentes qui sont aux humeurs saines ce que le phosphore ordinaire et toxique est au phosphore rouge et innocent, et l’on sait que ces deux corps ont la même nature chimique. Sans doute le secret des maladies virulentes et contagieuses ou épidémiques, si nombreuses et si redoutables, n’est