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Sans doute, après un premier regard jeté sur l’ensemble des êtres animés, on a quelque peine à ne pas se laisser aller à la pensée qu’un souffle aussi intelligent que puissant s’est communiqué à eux, les imprègne, les vivifie et les pousse dans une voie dont il sait le but (mens agitat molem). En voyant les organes les plus délicats et les plus parfaits naître d’une pulpe d’apparence informe et grossière, on est porté presque invinciblement à chercher haut l’ouvrier de cette industrie étonnante. La contemplation de cet ensemble d’abord plein d’enchantemens et de merveilles jette l’esprit dans une rêverie où il acquiert la conviction que de si surprenans ouvrages sortent directement d’une main souveraine ; mais, pour peu que l’esprit soit clairvoyant, il a bientôt renoncé, devant le témoignage des faits, à l’illusion du premier moment. S’il se donne la peine de pénétrer au fond des choses et d’en épuiser le détail, s’il veut bien suivre pas à pas. le développement de la vie dans l’ovule et dans l’embryon, étudier les fonctions de l’économie sur les animaux sains et sur les animaux malades, il reconnaîtra la spontanéité et l’activité des forces naturelles agissant en soi et par soi dans un processus éternel. Le juste sentiment des activités initiales et sourdes s’élevant à l’état de systèmes harmonieux et se déployant en fécondes énergies sera pour lui toute une révélation. Cette nouvelle aperception des choses où l’on part du petit, de l’imparfait et du relatif pour arriver au grand, au perfectionné et à l’absolu lui semblera comme une réminiscence de la philosophie de Leibniz. Les vertus particulières de corpuscules élémentaires engendrant un tout supérieur par les siennes lui rappelleront la monadologie. Il concevra l’unité dans la solidarité et non dans la confusion. Tout ce qui existe et vit à la surface de notre planète lui apparaîtra dans une claire vision comme le résultat des groupemens innombrables et compliqués de phénomènes simples, où la consubstantialité de la forme et de la force est évidente. Dans un désespoir éternel d’en connaître ni le principe ni la fin, comme dit Pascal, il se contentera d’en saisir les apparences les plus sûres et les plus déterminées. Aucunement dogmatique, également impuissant à comprendre de quelle manière la vie et la pensée peuvent provenir d’une agrégation d’atomes ou d’une cause surnaturelle, il se tiendra dans une sage réserve touchant ces problèmes redoutables. C’est là du moins le dernier enseignement et l’impérieux précepte de la science expérimentale.

Celle-ci, en tout cas, nous a livré bien des secrets. Montrer la matière organique, amorphe et rudimentaire dans les blastèmes, se combiner, s’organiser, évoluer et s’ordonner, de mille façons pour former par degrés successifs les élémens anatomiques, les humeurs,