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avec leurs familles le septième de la population. Naguère on a dit que dans les districts des lacs on en trouvait encore quelques-uns sous le nom de states-men. M. Fawcett, dans son livre on the british Labourer, prétend connaître des localités où, il y a un siècle, il en existait encore par centaines. Aujourd’hui cette noble et puissante classe est éteinte, ses derniers représentans ont été absorbés par la grande propriété. L’histoire ne présente rien de pareil. Dans le poème de Longfellow, Hiawatha, monté sur sa barque, s’évanouit dans les rayons du soleil couchant, et s’en va vers les régions d’où l’on ne revient pas ; c’est l’image de la race rouge qui se fond à l’approche des blancs. Les yeomen étaient du plus pur sang anglo-saxon, ils possédaient la terre, ils étaient dans l’aisance, ils avaient survécu à la conquête normande et triomphé de la féodalité, ils s’étaient émancipés du servage ; par quelle étonnante révolution économique ont-ils disparu au temps même où s’accroissaient la puissance et la richesse de l’Angleterre, et comment la bourgeoisie rurale, qui partout ailleurs grandit en nombre et en puissance, s’évanouit-elle précisément du pays qui précède les autres dans les voies de la civilisation et des libertés modernes ?

Plusieurs causes ont favorisé cette grave révolution, qui a passé inaperçue, quoiqu’elle ait eu pour résultat de faire de l’Angleterre, comme le dit M. Morier, la seule nation de race germanique et peut-être la seule nation civilisée où la propriété de la terre soit entièrement enlevée aux mains de ceux qui la cultivent. M. Leslie énumère avec précision les principales de ces causes. Les voici : 1° usurpation de la part des seigneurs du droit d’usage des communaux, qui permettait aux petits propriétaires d’entretenir leur bétail ; 2° usurpation d’une partie de leurs terres par suite d’une série de procès et de chicanes dont l’irrégularité de leurs titres et les complications de la loi anglaise ne leur permettaient pas de se tirer sans perte ; 3° décadence ou ruine des bourgs de province, marchés indispensables pour les produits de la petite culture ; 4° les majorais et les substitutions qui, agissant comme la mainmorte, engloutissaient sans cesse les petites propriétés et ne se subdivisaient jamais ; 5° la concentration dans les mains des grands propriétaires des pouvoirs politiques, dont ils ont usé pour faire des lois favorables à leur ordre, fatales à l’indépendance des cultivateurs ; 6° enfin la situation précaire des fermiers, qui ne peuvent jamais espérer d’acquérir la propriété du bien qu’ils exploitent. Plusieurs de ces causes commencèrent à produire leur effet dès le moyen âge. A peine le servage fut-il aboli et la corvée transformée en loyer payé en argent, que le seigneur, le lord of the manor, entama la guerre contre la petite propriété. Du moment qu’il n’avait plus droit à des services,