Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans son Agriculture en Angleterre, a montré tout cela en détail dans chaque comté. Déjà plus d’une fois on a reproché à certains lords de transformer des districts entiers en deer-forests, en bois pour chasser le daim et le cerf. Supposez que l’aristocratie tire de ses capitaux mobiliers ou de ses terres d’Irlande de quoi suffire à ses besoins, rien ne l’empêcherait de convertir tout le sol en un parc de plaisance, en pleasure ground, pour me servir d’un mot du Times qui a fait grand bruit. Elle peut considérer la terre embellie par l’art comme une source d’agrément et de jouissances esthétiques, et non comme la vulgaire officine chimique qui produit les denrées alimentaires dont l’homme a besoin. En résumé, les faits observés partout, sur le continent et dans la Grande-Bretagne même, permettent d’affirmer que, si l’agriculture est très perfectionnée en Angleterre, ce n’est pas grâce à son régime agraire.

La destruction complète de la classe des cultivateurs propriétaires a eu pour conséquence un fait que la plupart des Anglais considéraient comme l’une des supériorités de leur état social, mais dont on commence à voir maintenant le péril. Les hommes détachés du sol se sont agglomérés dans les villes, et la population urbaine a pris un développement effrayant. Sept grandes villes contiennent plus de 5 millions d’habitans. Londres seule en compte 3,214,707, c’est-à-dire plus que certains états qui ont fait figure dans l’histoire, comme la Suisse, par exemple. L’anéantissement de la yeomanry a eu pour conséquence le déclin des petites villes. Les grands centres ont grossi démesurément par suite de l’extension prodigieuse du commerce et de l’industrie ; mais cette immense population arrachée à la terre, la grande nourricière, vit uniquement du salaire, et sa situation dépend complètement de l’activité des affaires. A la moindre stagnation, l’indigence s’accroît en des proportions inquiétantes, et un grand nombre de travailleurs sont en proie à de cruelles souffrances. C’est pour ce motif que les hommes d’état anglais suivent toujours d’un œil inquiet le relevé des exportations ; si celles-ci diminuent, ils savent que le paupérisme étendra ses ravages. Récemment M. Goschen a pu annoncer que le commerce reprenait de l’activité, et le parlement, soulagé un instant, applaudit ; mais est-ce donc une position tolérable pour un pays que d’être exposé à une désolante aggravation du mal chronique de la misère chaque fois qu’un nuage passe sur l’horizon politique ou commercial ? Dans les villes où la population, repoussée des. campagnes, se condense de plus en plus, la place commence à manquer, la vie devient chère, difficile, la bourgeoisie est à l’étroit, et le peuple est refoulé dans des habitations infectes et hideuses. Les familles qui avaient une maison n’ont plus qu’un logement, et celles qui avaient