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shillings. Depuis Arthur Young, le prix des denrées alimentaires, à l’exception des céréales, a doublé, et la rente s’est accrue dans la même proportion ; le salaire agricole est resté presque stationnaire, sauf dans les localités où la concurrence de l’industrie s’est fait sentir, Dans une société où tous les élémens de la richesse se développaient d’une façon prodigieuse, le sort de l’ouvrier rural a donc empiré.

Ce qui a encore contribué à rendre sa situation plus pénible, c’est qu’il a perdu presque partout le petit coin de terre d’où il tirait, moyennant un travail supplémentaire, une partie de sa nourriture. Comme le rappelle M. Leslie, à la fin du siècle dernier Arthur Young pouvait dire : « Je ne connais pas un seul cottage (maison d’ouvrier à la campagne) auquel n’est pas attachée une parcelle de terrain, » tandis qu’en 1850 M. Caird, visitant à son tour les campagnes anglaises, aurait pu dire qu’il ne connaissait plus guère de cottage accompagné d’un terrain à cultiver. M. Thornton fait remarquer qu’autrefois l’ouvrier des champs consommait des œufs, de la volaille, de la viande de porc, parce qu’il nourrissait ces animaux sur les commons, mais que depuis la suppression du territoire communal il ne mange plus de viande. Le salaire de l’ouvrier étant insuffisant, il tâche d’y ajouter un supplément en louant sa femme, ses garçons, ses petites filles. De là naissent ces gangs, ces troupes de malheureuses qui pour quelques pence travaillent dans les champs sous l’œil et parfois sous le fouet d’un surveillant comme des nègres dans les pays à esclaves. Plusieurs travaux agricoles étant très faciles à exécuter, on y emploie de tout jeunes enfans, qui font ainsi concurrence aux adultes. L’extension de la culture des plantes-racines augmente sans cesse le nombre d’enfans occupés au sarclage. Il y a vingt ans, dit un témoin dans l’enquête, les enfans restaient à l’école jusqu’à douze et treize ans ; aujourd’hui ils la quittent à neuf ans. Dans le Dorsetshire, on constate que maintenant ce sont de jeunes garçons de huit ans qui conduisent la charrue pendant une journée de douze heures. Cet excès de travail empêche tout développement intellectuel. Dans les campagnes, l’ignorance est extrême. M. Fraser, l’un des commissaires de l’enquête et l’auteur d’un excellent rapport sur l’enseignement aux États-Unis, écrit : « Je ne crois pas exagérer en disant que 50 pour 100 des adultes dans les campagnes ne savent ni lire ni écrire. » — « Dans mes tournées, dit M. Norman, j’emportais un livre très facile à lire, et j’essayais de le faire déchiffrer par les campagnards ; très peu savaient lire couramment. » — « A ne considérer que le degré d’instruction, dit le révérend M. W. Hampson, nos ouvriers de ferme ne sont guère supérieurs aux habitans de l’Afrique centrale. »