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La race elle-même semble dégénérer par suite de l’excès de travail imposé à l’enfant quand ses membres ne sont pas encore développés. « La proportion de travail demandé aux enfans est excessive, dit M. Stanhope, et il est probable que c’est à cette cause, jointe à l’insuffisance de la nourriture, qu’il faut attribuer la déformation et la précoce décrépitude de la population rurale. » — « Je crois, dit le docteur Butt, qu’on emploie les petits garçons trop tôt dans les labours de nos terres lourdes ; ils s’en ressentent plus tard. Dès cinquante ans, ils sont très courbés, et leurs genoux fléchissent. » Je ne multiplierai pas ces citations. Il résulte de tous les rapports officiels que l’exploitation trop hâtive des forces de l’enfance a pour résultat de porter atteinte à ce type magnifique de l’ouvrier anglais aux larges épaules, aux bras robustes, ardent à la besogne comme s’il accomplissait un devoir, infatigable, persévérant, au total le premier travailleur du monde.

Les commissaires regrettent encore plus les fâcheux effets produits sur le moral que sur le physique. La complète ignorance, le défaut d’aspiration vers une condition meilleure, l’uniformité de la tâche, la prédominance exclusive des impressions physiques et des appétits sensuels, produisent une grossièreté de mœurs qui épouvante ceux qui la constatent. Les témoins s’accordent à dire que l’obscénité des chansons, des paroles et des actes, de la part même des jeunes filles, dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Aucune pudeur ne les retient ; les mères donnent l’exemple. C’est une brutalité de mœurs révoltante et la honte de nos campagnes, disent d’un commun accord les pasteurs et les fermiers.

Une cause très active de démoralisation est l’effroyable situation des maisons ouvrières dans les districts ruraux. En 1850, M. Kay, dans son beau livre sur la condition économique des peuples de l’Europe, disait déjà : « Les rapports qui arrivent des différentes parties de l’Angleterre montrent que les chaumières des ouvriers agricoles s’encombrent de plus en plus. Sans égard au sexe ni à l’âge, parens et enfans, frères et sœurs, tous les membres de la famille et les étrangers même couchent dans la même chambre et jusque dans le même lit. » Les statistiques parlementaires prouvent, dit M. Leslie, que de 1851 à 1861 le nombre des maisons a diminué dans 821 paroisses rurales pendant que la population augmentait. La dernière enquête officielle, dont le rapport a été présenté au parlement en 1869, fait voir que le mal a été en croissant. Dans un district du Lincolnshire, sur 400 cottages, 25 seulement ont plus de deux chambres à coucher, plus de la moitié n’en ont qu’une. Dans le Cambridgeshire, M. Portman nous dit que, règle générale, les ouvriers sont plus mal logés et moins bien pourvus que le bétail. M. Fraser