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personne n’a intérêt à soigner le logement des travailleurs agricoles » et que leur salaire est toujours réduit au minimum de ce qu’il faut pour ne point mourir de faim. Faut-il s’étonner alors que leurs demeures et leur condition soient tellement déplorables qu’elles provoquent l’indignation publique ? Il y a lieu d’être surpris au contraire qu’on rencontre encore tant de bons cottages. C’est une preuve de la générosité et de la bienfaisance des lords anglais. Beaucoup d’entre eux ont mis en oubli leur intérêt pécuniaire pour n’écouter que la voix de la charité.

Quand le sol est divisé, les petits propriétaires ont intérêt à bâtir des habitations, soit pour eux-mêmes, soit pour les louer. En Flandre, où la densité de la population est deux fois plus grande qu’en Angleterre, le petit cultivateur est néanmoins bien logé. On y compte 101 familles pour 100 maisons dans les districts ruraux, et chaque famille a sa demeure. En Suisse, pays de petite propriété, le paysan est très bien logé. La moyenne des chambres habitables s’élève à 3,85 par famille, ce qui fait que chacun a sa chambre. Quel contraste avec le spectacle que nous offrent les campagnes anglaises, si magnifiques et si riches ! En Lombardie, même phénomène qu’en Angleterre. Dans les opulentes plaines du Pô, région de grandes fermes, l’ouvrier rural est abominablement logé, et M. Jacini, pour dépeindre leurs habitations, se sert presque des mêmes tenues que les commissaires anglais. L’an dernier, j’ai vu en Espagne, dans l’Aragon, dans les Castilles, en Portugal, dans l’Alemtejo, dans toutes les régions de la péninsule où dominait la grande propriété, l’ouvrier agricole habitant des huttes sordides sans fenêtre, sans cheminée, ou dans les fentes des montagnes et dans des tanières, sous terre comme les fauves, tandis que dans le Minho, dans les Asturies, dans les provinces basques, dans la Navarre, pays de petite culture, le paysan a de bons logemens. Le fait n’est donc pas particulier à l’Angleterre. Il est si général qu’on peut y voir l’effet d’une loi économique.

Nous pouvons résumer maintenant en quelques traits le sort que l’envahissement de la grande propriété a fait aux classes rurales. À l’époque saxonne, tous les cultivateurs sont propriétaires. Sous les Normands, ils sont transformés en vilains corvéables à merci et en tenanciers à redevances fixes. Avant la fin du moyen âge, ils redeviennent propriétaires de la terre sous le nom de yeomen, socmen, copy holders. À partir du XVe siècle, la propriété leur échappe. Les uns deviennent fermiers, les autres simples ouvriers. L’ouvrier agricole conserve quelque aisance jusqu’au XVIIIe siècle : il a une maison, un peu de terre, du menu bétail et le communal ; puis il perd successivement tout cela, et il perd en même temps la gaîté, la