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temps, et que partout il allait être détrôné par des syndicats ouvriers.

Un troisième exemple, moins heureux, mais dont le public français a tiré des conclusions non moins décevantes, est venu se joindre aux deux premiers. Dans la ferveur révolutionnaire de 1848, il s’était créé à Paris et dans quelques villes de province un certain nombre d’associations d’artisans qui se proposaient de se passer de patron et de se distribuer entre eux les bénéfices que cet intermédiaire s’attribue aux dépens des salariés. La faveur du gouvernement d’alors avait réparti un prêt de 3 millions entre ces petites républiques industrielles. Il ne paraît pas que cette semence ait heureusement fructifié. Sur 45 sociétés ouvrières qui recueillirent ces largesses de l’état, l’on n’en cite que 2 qui aient survécu ; encore sont-elles devenues des patronats collectifs, comptant peu d’associés et beaucoup de salariés désignés par le nom plus nouveau et plus démocratique d’auxiliaires. Ces premières tentatives ne semblaient pas encourageantes ; mais il n’est rien de tel que le fanatisme pour interpréter tout dans le sens de ses convictions et transformer les objections en argumens. On attribua aux circonstances extérieures, aux changemens politiques ou bien encore au défaut d’instruction scolaire, cet échec des premiers rudimens de sociétés de production. Ces essais n’en furent pas moins considérés comme des antécédens qui auraient certainement été plus favorables, si les conditions d’expérimentation eussent été changées. La foi dans le principe ne fut pas ébranlée. Le nom seul d’association, qui était trop vieux et qui avait subi trop de défaites, fut abandonné, on lui substitua le mot de coopération. Ce vocable sonna bien aux oreilles des philanthropes ; il fit rapidement son chemin. Il y a toujours dans la classe éclairée des esprits qui sont ouverts à toutes les propositions de réforme, à tous les plans de palingénésie, auxquels on donne une apparence modeste.

C’est un réformateur bien connu, Robert Owen, qui dès le début de ce siècle lança dans le monde le mot de coopération. Il y attachait un sens manifestement communiste. Cette expression ne fut pas alors recueillie ; c’est seulement dans ces dernières années qu’elle fut reprise, et qu’elle devint populaire. Elle servit à couvrir une foule de projets différens et vagues, dont les uns étaient d’une application limitée, mais possible, dont les autres, la plupart même, étaient des utopies. Bien vue et protégée à son essor par la partie la plus aventureuse de la bourgeoisie, la coopération ne tarda point cependant a montrer quelle était sa véritable mature, et à trahir le vieux levain socialiste qu’elle avait pendant quelque temps dissimulé. Le gérant de la principale association parisienne de crédit