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désavantageuses les unes que les autres : le voisinage immédiat du beau saint Michel du Guide, l’obscurité de la chapelle où elle est placée, quelques légères altérations enfin ; mais les Romains ne s’y sont pas trompés. Ils ont fait à cette toile l’honneur de la compter parmi les belles œuvres du Dominiquin, et ils en ont exécuté la copie en mosaïque dans la basilique de Saint-Pierre. Le sujet qu’elle représente sera le sujet favori de la mode pendant tout un siècle ; peintres et sculpteurs s’en empareront à l’envi, ils en feront sortir tout un art qu’on peut en toute exactitude appeler l’art moliniste, et dont le chef-d’œuvre sera la sainte Thérèse du Bernin. Cet anéantissement mystique ou, pour mieux parler, cette liquéfaction de l’être humain sous la pression de l’amour divin va devenir au XVIIe siècle le sentiment préféré du catholicisme réformé sorti du concile de Trente ; mais dans l’expression de ce sentiment étrange combien d’autres sentimens d’équivoque nuance trouveront à se glisser, et combien de fois le profane Méphistophélès ne rira-t-il pas de voir qu’il a su maintenir ses droits là même où il était proscrit ! Sceptiques, critiques, incrédules ne manquent point pour tenir le rôle de Méphistophélès, et font remarquer à l’envi tout ce que le délicieux phénomène peut contenir d’alliage terrestre. J’en entends un qui demande devant la sainte Thérèse du Bernin si c’est sentiment qu’il faut appeler cet anéantissement mystique, ou si ce n’est pas plutôt sensation ? J’en entends un autre qui à la vue de ce triomphe de l’âme sur la chair s’écrie comme Pyrrhus : Il Encore une victoire comme celle-là, et l’âme est perdue ! » Cependant sceptiques et critiques incrédules ne pourraient trouver à exercer leur malignité devant l’œuvre du Dominiquin, qui reste de la plus délicate orthodoxie. En retraçant ce phénomène de très antique origine chrétienne, mais rajeuni par le XIIe siècle, le Dominiquin lui a conservé quelques-uns de ses anciens caractères ; la balance ne penche pas chez lui comme elle penche chez le Guide, comme elle penchera surtout chez le Bernin ; il a su tenir l’équilibre entre l’aimable austérité des maîtres du passé et le fondant séraphisme des artistes de son temps. C’est bien l’extase, c’est-à-dire la délivrance absolue de l’âme par la mort temporaire du corps, non l’anéantissement mystique, c’est-à-dire l’évanouissement de l’âme et l’oubli d’elle-même au sein de l’évanouissement physique. Le corps, privé de sa souveraine, ravie par la contemplation, chancelle et s’affaisse : il ne s’abandonne pas, il est abandonné ; mais il y a dans la manière dont il succombe un je ne sais quoi de tendre, d’élégant et de doux qui est bien de l’époque où peignit le Dominiquin.

La plus célèbre de ces peintures dramatiques du Dominiquin est certainement la Communion de saint Jérôme à la galerie du Vatican ;