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le troubler de disputes, il apparaît par l’arc du portique, qui laisse entrevoir un coin de paysage, peu oriental peut-être, mais bien italien, où se promènent deux graves personnages en turban. L’œuvre n’est pas belle seulement au point de vue de l’art, pathétique au point de vue de la sympathie humaine générale ; elle est encore scrupuleusement conçue selon le véritable esprit de l’histoire. Les quatre anges qui, suspendus au-dessus de la scène, paraissent appeler saint Jérôme à la gloire céleste, ont été fort critiqués comme trop profanes et faisant contraste avec la sévérité du sujet. Je ne puis partager cette opinion. Je ferai remarquer combien ils sont graves, et qu’ils ne ressemblent guère à ces confrères du petit dieu païen dont, sous prétexte d’anges, les Italiens de la dernière heure ont trop souvent gâté le sérieux de leurs œuvres. Avec quelle attention recueillie regarde le premier ! comme le second prie avec dévotion ! et le dernier, avec quelle aimante insistance il appelle saint Jérôme, et que son frère céleste qui le tient par la main a de la peine à l’entraîner ! Ce dernier ange ne serait-il pas l’âme récemment partie de ce monde de la noble Eustochium ? et celui qui le tire par la main avec tant de force ne serait-il pas la première Paula ? et les deux autres ne seraient-ils pas les âmes de Fabiola et de Marcella ? La nudité du saint a été aussi fort critiquée ; on n’a pas réfléchi que cette nudité est traditionnelle, et que, l’ascétisme étant le caractère du grand docteur, la nudité est le seul moyen d’en montrer les divins ravages. Saint Jérôme vêtu ne laisserait plus reconnaître le grand jeûneur de la grotte de Bethléem.

On peut prêter sans crainte beaucoup d’intentions au Dominiquin, car il est plein d’esprit. La galerie du palais Rospigliosi contient un tableau qui est loin d’être excellent comme facture, mais qui offre un singulier intérêt à qui veut connaître les subtiles ressources du génie de son auteur, Saül et David. C’est le moment où le petit berger vient d’abattre le géant philistin en face des deux armées, et les Israélites, sonnant à pleins poumons de leurs trompettes, frappant des cymbales et du tambourin, semblent entonner déjà le futur cantique de victoire : « Saül en a tué mille, mais David en a tué dix mille. » L’enfant est revêtu d’une simple tunique rouge, et si ingénieusement le peintre a drapé ce vêtement que le roi futur apparaît sous ses plis paré de la pourpre souveraine. Saül au contraire est ceint de la couronne et réellement drapé de pourpre, mais par un mouvement instinctif il porte les mains à ses épaules comme pour retenir son manteau royal, qu’il a cru sentir s’en échapper. C’est avec cette adresse ingénieuse que procède d’ordinaire le Dominiquin, et l’on conçoit qu’il faille se donner quelque peine pour le comprendre et l’expliquer.