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à Rome, offre une autre difficulté. Moins harmonieuse que celle du Dominiquin, son œuvre est encore plus diverse, si diverse qu’elle en est presque contradictoire au premier aspect. Ce n’est point qu’il y ait plusieurs hommes dans le Guide ; au fond, c’est bien le même pinceau qui a peint l’Aurore du palais Rospigliosi et la Madeleine du palais Sciarra, le portrait de Béatrice Cenci de la galerie Barberini et le Christ en croix de Saint-Laurent in Lucina ; seulement ce n’est qu’après long examen et fréquentes comparaisons qu’on arrive à comprendre cette identité de l’artiste. Nous ne pouvons, après cette longue promenade à la recherche des qualités du Dominiquin, embrasser dans sa complexité l’œuvre entière de son fécond rival ; bornons-nous donc pour aujourd’hui à l’admirer dans la plus populaire et la plus touchante de ses toiles, le portrait de Béatrice Cenci. Ce portrait peut être facilement séparé des autres productions de son auteur, et la galerie Barberini nous offre d’ailleurs un attrait tout particulier.

Cet attrait est celui des portraits. Deux sont célèbres, celui de la Fornarina nue, de Raphaël, et celui de Béatrice Cenci ; mais les autres, quoique signés de moins illustres noms et présentant les ressemblances de personnages moins séduisans pour le vulgaire, offrent un extrême intérêt pour quiconque est curieux de l’histoire de Rome, surtout pour un Français qui aime à retrouver à l’étranger les souvenirs lointains de la patrie.

Le premier est celui de Maffeo Barberini, le pape Urbain VIII, peint par André Sacchi, artiste célèbre à une époque où la vraie célébrité se faisait de plus en plus rare. L’âge est à peu près celui de son avènement au pontificat, c’est-à-dire cinquante-cinq ans, en sorte que la vieillesse n’a pas eu encore le temps d’effacer la gentillesse de cette spirituelle figure, remarquable surtout par deux yeux tout grands ouverts comme ceux des enfans, presque effarés et remplis d’une sorte de malicieuse surprise. On dirait que le spectacle de la comédie humaine dont il fut un si grand acteur éveille sa verve caustique en excitant son étonnement. Ainsi devait-il regarder quand il lançait ses mots pleins de bonne humeur et d’imprudence italiennes, par exemple celui qui servit d’oraison funèbre à son bon ami notre grand cardinal de Richelieu : ah che se c’é un Dio, bentosto lo pagara ; ma se non c’é, é veramente un galantuomo ! Quel contraste aimable fait cette figure toute mondaine avec celles des pontifes entre lesquels il est placé, Camille Borghèse, pesant, massif, aux chairs abondantes et molles tel que nous le représente l’admirable mosaïque de Marcel Provençal, et le pape Pamphily, plissé, ridé, à l’air maussade, comme s’il venait d’essuyer une bourrasque de l’orageuse donna Olympia Maidalchina, tel que nous le