Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

période de cent quatre-vingt-neuf jours, ne languit pas un seul instant ; les administrateurs, les religieuses, le corps médical tout entier, maîtres et élèves, rivalisèrent de dévoûment et d’abnégation. Les agens de surveillance et de comptabilité restèrent imperturbables dans leur bureau à côté d’un foyer épidémique infecté au plus haut degré ; leurs registres, tenus avec une régularité parfaite, permettraient d’écrire une histoire du choléra jour par jour, heure par heure, hôpital par hôpital, lit par lit. Grâce à ces précieuses paperasses remplies d’écriture hâtive, il est facile de reconstruire le chemin suivi par la maladie dans Paris, à quel corps de métier elle s’est adressée de préférence, sur quel âge elle a sévi, combien d’heures il lui a fallu pour mettre un homme au tombeau. Ces chiffres, si tristement éloquens pour qui sait les lire, prouvent que les excès auxquels les ouvriers sa livrent ordinairement le dimanche n’ont pas été sans influence sur l’épidémie, et qu’ils l’ont augmentée d’une façon presque régulière et normale pendant toute la durée du fléau. En effet, les hôpitaux civils ont reçu 13,777 malades ; si l’on divise ce total par cent quatre-vingt-neuf, qui est le nombre des jours cholériques, on voit que la moyenne des entrées quotidiennes a été de 72-36 ; mais, en relevant le nombre des admissions pour chacun des jours de la semaine pris isolément, on reconnaît que le dimanche donne en moyenne 67-88 et le lundi 76-85, notable différence qui doit être portée au compte du cabaret. À cette époque, notre armée d’Afrique ne nous avait pas encore dotés du goût de l’absinthe, sans cela les entrées du lundi eussent été sans doute plus considérables. Deux fois encore, en 1849 et en 1854, Paris traversa des crises analogues ; mais on s’était pour ainsi dire familiarisé avec le redoutable fléau asiatique, la population resta calme, et le service hospitalier normal put satisfaire à toutes les exigences[1].

Ce service, bien que très fortement organisé, aurait besoin d’être augmenté dans des proportions sensibles, car il n’est plus en rapport avec les populations qu’il a mission de secourir. En effet, Paris ne possède aujourd’hui que 15 hôpitaux, dont 8 ont un caractère général, et dont 7 sont réservés à des spécialités nettement définies. Les 8 premiers sont : l’Hôtel-Dieu, qui contient 834 lits ; — Notre-Dame-de-la-Pitié, destiné dans le principe, par édit de Louis XIII en date du 27 avril 1612, à renfermer les pauvres, 726 lits ; — la Charité, d’abord installée en 1602 au quai Manquais sous les auspices de Marie de Médicis, qui avait fait venir de

  1. Le choléra de 1849 fut plus meurtrier cependant que celui de 1832 ; voici du reste le nombre des individus morts à Paris des suites de l’épidémie : on 1832,18,402 ; en 1849, 19,105 ; en 1854, 9,217.