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l’application de ses principes. S’il ne compte pas parmi les génies inventeurs dans cette branche de la science politique, M. Gladstone passe avec raison pour un financier de premier ordre. Il mérite la place qui lui est assignée non-seulement par cette clarté loyale qui est la condition première de sécurité pour les peuples chargés de leurs propres affaires, par cette intrépide sincérité d’un homme qui ne veut ni s’abuser lui-même ni donner le change aux esprits irréfléchis, mais par une qualité plus éminente et plus rare. Au lieu de s’absorber dans l’unique préoccupation de réduire les besoins ou d’y pourvoir par des ressources ingénieuses, mérite précieux, mais subalterne, qui est celui d’un excellent majordome, il porte sa vue plus loin : les finances du pays, sous leur double aspect d’application des deniers publics et de répartition des charges, sont pour lui l’expression résumée de la politique ; en un mot, il est du petit nombre des financiers qui, supérieurs à la pensée des besoins du moment et au génie des expédiens, opèrent d’après des principes constans, et ses principes, dictés par la prudence et la justice, sont de ne se préoccuper ni de l’intérêt de l’agriculture, ni de l’intérêt de l’industrie, ni de l’intérêt de la navigation, ni de l’intérêt du commerce, mais du seul intérêt de la nation[1], d’effacer entre les classes de la société les divisions nées de l’égoïsme des unes et de l’ignorance des autres, et pour cela de ménager les sources du revenu public de manière à soulager les classes laborieuses sans constituer toutefois aucun privilège en leur faveur, à les pacifier par le sentiment d’une législation équitable, à les émanciper par l’abondance et la sécurité du travail. Nulle part on ne reconnaît mieux que dans les procédés adoptés par M. Gladstone et dans ses magnifiques exposés l’esprit nouveau qui pénètre dans la législation anglaise, et auquel il a contribué pour une si grande part à frayer la voie. Je crois donc à propos d’esquisser tout d’abord l’ensemble de ses travaux financiers pour en dégager la pensée dominante et en faire apprécier la portée.

Lorsque Robert Peel revint au pouvoir en 1842, chargé de rétablir l’équilibre dans les finances, de réparer les fautes commises par les whigs, d’accomplir leurs promesses, au milieu de l’agitation contre les lois sur les céréales qui gagnait à vue d’œil, M. Gladstone jouissait déjà d’une autorité véritable, que le bruit fait autour de son nom à l’occasion de son livre sur les Rapports de l’église et de l’état avait accrue plutôt que diminuée. Personne ne s’étonna que Robert Peel se l’associât en lui confiant un poste, modeste encore, mais important en raison des projets qu’il allait accomplir, celui de vice-président du bureau du commerce et de maître de la

  1. Speech at Manchester, 18 juillet 1865.