Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je vous rends grâces de m’avoir prié, moi pêcheur indigne, de venir prendre part à l’élection de votre évêque. Je me serais rendu assez volontiers à votre appel, si je n’avais pas craint de subir à cette occasion ce que je ne veux pas dire ; mais, puisque je ne puis être en ce moment près de vous, comme vous le désirez, absent, j’approuve tout ce que vous ferez, selon Dieu[1]. »


Que craignait Geoffroy ? qu’avait-il à craindre ? Nous ne savons. Toujours est-il qu’il ne vint pas au colloque ; mais s’il crut devoir, peut-être par excès de prudence, se tenir quelque temps éloigné du théâtre de la lutte, il ne s’employa pas avec moins d’ardeur à susciter partout des adversaires au candidat de Marbode. Il écrivit d’abord à Guillaume, abbé de Saint-Florent, et à Bernard, abbé de Saint-Serge, les priant de se joindre aux gens de bien déjà ligués contre Rainaud. L’affaire, leur disait-il, était grave. Il s’agissait d’abord de ne pas laisser choir l’église d’Angers entre les mains d’un homme méchant, tortueux et rusé ; » il s’agissait en outre, ce qui importait bien plus encore, de combattre et de vaincre une coalition de suffrages mercenaires, Rainaud ayant, selon tous les rapports, acheté le patronage des plus notables laïques, seigneurs-et bourgeois. Sur ce point, Geoffroy s’exprimait ainsi : « Puisque, pour mettre le comble à ses iniquités, il entreprend de forcer les portes de la sainte église avec les artifices de Simon le Mage, il est grandement utile, il est grandement nécessaire de lui résister en face avec l’autorité de Simon-Pierre. » Enfin il ajoutait sur le ton de la plus âpre mélancolie : « Que nous sert de prier, que nous sert de jeûner quelquefois, de secourir les pauvres et de nous appliquer à d’autres bonnes œuvres, si nous ne veillons pas à repousser de nos frontières l’hérésie simoniaque[2] ? »

Bernard, abbé de Saint-Serge, avait le cœur d’un moine ; pour l’entraîner, il suffisait de lui montrer un péril menaçant l’église : Geoffroy le gagna donc sans peine à son parti. Guillaume, abbé de Saint-Florent, promit aussi son concours, mais avec plus de réserve. Fils de Rivallon, seigneur de Dol, d’une des plus nobles et des plus riches maisons de l’Armorique, Guillaume joignait à l’éclat de sa naissance l’autorité de son mérite, partout reconnu. Les seigneurs des provinces les plus lointaines, les rois eux-mêmes, s’étaient montrés jaloux de lui complaire et l’avaient honoré de leurs largesses. Quel plus grand hommage à sa piété que celui-ci ? On évêque d’Aquitaine, l’évêque de Bazas, se reconnaissant incapable de rétablir le bon ordre dans une de ses abbayes, l’avait offerte en don à l’abbé de Saint-Florent ! Un tel abbé ne pouvait être

  1. Geoffridi Epistol., lib. V, epist. 4.
  2. Ibid. ., lib. IV, epist. 8.