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fut une occasion de causer un nouveau déplaisir à Geoffroy de Vendôme. Alors on vit l’élu de la « sécularité » demander publiquement l’investiture au comte d’Anjou et publiquement recevoir de ce comte l’insigne principal de la puissance spirituelle, le bâton pastoral[1]. Enfin Marbode se rendit à Rome, vit le pape, lui recommanda Rainaud, et disculpa son élection calomniée.

Tels sont les renseignemens que nous avons pu recueillir sur les circonstances de cette élection. Il nous reste à dire qu’à peine établi dans son palais épiscopal, Rainaud de Martigné vit venir à lui le doyen Etienne et l’archidiacre Guillaume, soumis, repentans, invoquant sa miséricorde, et que non-seulement il leur pardonna, mais qu’il les honora de sa faveur. Geoffroy de Vendôme lui-même rechercha son amitié, et, l’ayant obtenue sans peine, l’appela dans une série de lettres le plus vertueux des évêques, jusqu’au jour où, survenant une nouvelle brouille, il l’accabla de nouveaux outrages[2]. Vers le même temps, Geoffroy se réconciliant avec Raoul, avec Marbode, devint l’ennemi déclaré de l’archidiacre Garnier et même de l’évêque Hildebert, auxquels, de sa plume féconde en invectives, il écrivit les lettres les plus offensantes. Enfin Marbode, qui ne trouva pas dans Rainaud un ami assez reconnaissant, rompit avec lui et lui rappela durement ses services[3]. La violence étant alors le fonds commun de tous les caractères, ces contradictions et ces emportemens ne doivent pas étonner ; il ne faut jamais prendre à la lettre les reproches que s’adressent, en des termes d’une vivacité toujours choquante, ces gens trop irascibles et trop dépourvus d’urbanité. Ainsi Rainaud, ce fléau de Dieu, cette peste publique, fut un des meilleurs évêques qu’ait eus l’église d’Angers. Il gouvernait depuis vingt-trois ans cette église, quand le roi Louis VI, informé de son mérite, l’éleva sur le siège archiépiscopal de Reims, où il mourut le 13 janvier 1138 avec la plus belle renommée de piété, de charité, de prudence administrative. Le peuple d’Angers avait donc été plus clairvoyant que le clergé de cette ville lorsqu’il avait élu Rainaud.

Le parti des laïques n’a pas toujours eu cette clairvoyance et on l’a vu plus d’une fois repousser les meilleurs candidats. En somme, il serait difficile de dire lequel des deux partis a le mieux servi, dans les élections disputées, la cause de l’église. De lui-même, le peuple préféra toujours le candidat le plus signalé par la sévérité de ses mœurs ; mais souvent il se laissa trop recommander par la noblesse le plus riche et le plus noble. Le candidat du clergé était

  1. Geoffridi Epistol., lib. III, epist. 11.
  2. Ibid., t. III, epist. II.
  3. Recueil des Histor. de France, t. XIV, p. 806.