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monnaie. Robert Peel arrivait au ministère pénétré de la nécessité de compter avec les exigences de l’opinion et d’arracher à son parti des concessions qui ne pouvaient pas être ajournées sans péril. M. Gladstone fut le témoin du travail qui s’opérait dans son intelligence, peut-être le confident de ses perplexités, certainement le plus actif auxiliaire des premières mesures qu’il proposa, et qui devaient aboutir à des réformes radicales. Dès le début de la session, Robert Peel soumit à l’approbation du parlement deux mesures connexes, l’établissement de l’income-tax, exigé par l’état des finances, et la révision des tarifs des droits imposés à l’entrée des produits étrangers. Par un coup hardi, des douze cent cinquante articles que comprenait ce tarif, sept cent cinquante étaient affranchis de tout droit ou l’objet d’une réduction considérable. Au moment où Robert Peel se levait pour faire son exposé dans la chambre des communes, on le vit prendre avec une intention marquée des mains de M, Gladstone les documens qui contenaient les détails du projet. Ce mouvement, que tout le monde comprit, était une manière de rendre publiquement à son jeune collaborateur un honneur qui lui était dû. Ce grand travail était en effet l’œuvre à peu près personnelle de M. Gladstone, et il était si bien entendu dans toutes ses parties qu’il passa presque sans aucune modification. M. Gladstone fut naturellement chargé d’en soutenir les détails au comité ; il le fit de manière à confondre d’étonnement les hommes du métier, qui ne s’attendaient guère à rencontrer dans un lauréat d’Oxford cette connaissance précise des faits et à le voir traiter avec la parfaite aisance d’un négociant consommé la question de la farine de manioc ou celle des oignons, de la viande salée et des harengs secs. Quels sont les principes qui avaient présidé à cette grave réforme ? Robert Peel les avait indiqués rapidement, et M. Gladstone a eu plus tard l’occasion de les exposer d’une manière complète. En 1852, les tories les plus obstinés ayant jugé habile, pour colorer d’un vernis de libéralisme certaines réformes qui leur tenaient au cœur, de se donner par la bouche de M. Disraeli pour les continuateurs de Robert Peel, M. Gladstone repoussa vivement cette prétention ; il rappela, en homme qui avait le droit d’en parler, quelle avait été la pensée de ce grand ministre : le but qu’il n’avait cessé de poursuivre était la suppression de toute prohibition absolue ou l’abaissement des droits d’un effet prohibitif, — la plus grande réduction possible des droits dont se trouvaient frappées les matières premières et les substances alimentaires. Ces diverses réductions se ramenaient à une même pensée et à la pensée la plus contraire au régime tant regretté par les tories, celle de favoriser le développement de l’industrie nationale, non par des privilèges, mais par