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exposition ; il est impossible d’en méconnaître la précision et l’enchaînement. Tout y jaillit d’une même source, tout y repose sur un seul principe, tout s’y explique par une maîtresse formule. Œuvre d’un esprit profond et subtil, rien ne ressemble moins que cette doctrine à une combinaison éclectique ; elle a ceci de particulièrement original, que l’effort de la pensée créatrice n’y est pas moins remarquable que l’inspiration de la science traditionnelle.

Il est un autre caractère aussi saillant du mouvement philosophique contemporain, c’est le réveil de l’esprit critique dans les œuvres de la pensée spéculative. Pour arriver le plus vite et le plus sûrement possible à faire un choix entre tous ces systèmes, dont le spectacle était plus propre à frapper l’imagination qu’à fixer la pensée, l’école dominante n’avait pas trouvé d’autre moyen que de faire du sens commun le critère à l’aide duquel on pouvait discerner les meilleurs élémens de la doctrine dont on avait absolument besoin. Sans avoir jamais bien défini la nature et l’origine des vérités qui composaient le domaine de ce sens commun, l’école en question était pourtant parvenue à en faire une véritable règle critique pour le jugement et le choix des doctrines du passé. Lorsqu’on avait parlé des croyances du genre humain sur tels ou tels points de métaphysique ou de morale, il semblait que tout fût dit, et qu’il n’y avait plus qu’à s’incliner devant une pareille autorité. C’est au nom de ces croyances communes qu’on imposait à l’initiative personnelle des limites qu’il était interdit de franchir, alors même que l’analyse, l’expérience, la logique, semblaient lui donner raison. Qu’est devenue cette préoccupation un peu tyrannique du sens commun au sein de la nouvelle génération philosophique ? On en retrouve encore quelques traces chez certains professeurs attardés de la philosophie officielle ; mais elle a fait place à un esprit tout opposé dans la grande majorité des jeunes esprits qui se livrent à ce genre d’études. Si l’on procède généralement avec moins de confiance, moins d’engouement dogmatique, cela tient à ce qu’on se garde de plus en plus des méthodes a priori. On n’a plus le respect superstitieux du sens commun ; si l’on ne va pas jusqu’à le braver sans raison, on ne le suit qu’autant qu’il est d’accord avec l’expérience et l’analyse. Il est évident que l’esprit contemporain obéit à un autre critère, et que son initiative personnelle n’est plus gênée par le besoin de rester fidèle aux croyances dites éternelles et universelles de l’humanité : excellente disposition d’esprit pour les œuvres de véritable philosophie, du moment qu’elle est tempérée par la sûreté des méthodes d’investigation.

Mais le signe le plus frappant, à notre avis, de la révolution qui s’opère sûrement et sans bruit dans les esprits voués aux études de