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n’y ait plus moyen de s’entendre ni de se convaincre, et que la seule chose qui leste à faire soit de se tenir et de se retrancher chacun dans sa thèse inexpugnable, l’un au nom du sentiment, l’autre au nom de l’analyse. Alors c’est entre la conscience et la science une contradiction, une antinomie du genre de celles qui ont tant servi à Kant pour ébranler les bases de la croyance humaine. Comment sortir de la crise où la philosophie se trouve engagée en ce moment ? Si le débat était entre des autorités de même nature, entre l’expérience et l’observation, entre l’analyse et l’analyse, on serait bien sûr qu’il ne durerait pas longtemps, puisqu’une expérience plus décisive, une analyse plus profonde arrive toujours à rectifier une observation incomplète ou une analyse superficielle ; mais c’est entre des autorités d’espèce bien différente que s’ngite le débat, entre la science et le sens commun, entre le sentiment et l’analyse, entre la physique et la psychologie. Essayons pourtant de voir s’il ne serait pas possible d’arrêter nos terribles adversaires dans leur œuvre destructive de tout ce qui nous avait paru jusqu’ici faire la grandeur, la beauté, la dignité de notre espèce.

C’est un merveilleux instrument que l’analyse pour découvrir les principes secrets des choses ; mais aussi combien il est redoutable pour la réalité, dont elle va jusqu’à supprimer les caractères les plus intimes, les attributs les plus essentiels, pour la faire rentrer dans ses formules ! Il existe de nos jours une école de savans vraiment philosophes qui se fait honneur d’être l’école de l’observation, et qu’il serait plus juste d’appeler l’école de l’analyse, en ce qu’elle étudie les faits surtout pour les expliquer en les ramenant à leurs élémens les plus simples. Or voici un danger de l’analyse sur lequel nous appelons l’attention des savans qui se vouent à l’emploi exclusif de la méthode analytique. Il y a des composés qui peuvent être ramenés à leurs élémens simples sans perdre aucune de leurs propriétés distinctives : c’est le cas des quantités mathématiques, des forces purement mécaniques, en général de toutes les choses abstraites dans le règne de la nature inorganique ; pourtant il est des composés d’une autre nature sur lesquels cette opération ne peut être faite impunément, on ne peut les réduire à leurs élémens simples sans en supprimer ou du moins en altérer certaines propriétés essentielles. C’est le cas de tous les êtres de la nature vivante, et il est à remarquer que plus la science s’élève dans l’échelle de la vie universelle, plus elle arrive à des composés dont l’unité organique, l’individua’ité croît en raison même de la complication de plus en plus grande de ses élémens.

Or, si là est le triomphe de l’analyse, là est aussi son écueil. Elle opère des merveilles en fait de réductions et de simplifications ;