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mais trop souvent ces merveilles se font aux dépens de la réalité. C’est la méthode des esprits les plus philosophiques dans le monde savant, d’hommes tels que MM.  Chevreul, Berthelot et Sainte-Claire Deville en chimie, Ch. Robin en physiologie. Nous avouons notre incompétence pour intervenir dans le grand débat qui partage aujourd’hui le monde savant sur le problème de l’unité des forces de la nature ; nous ne pouvons donc juger de la valeur de la tentative des chimistes qui a pour objet de ramener tous les phénomènes qu’on nomme affinités ou attractions électives à de pures actions moléculaires soumises aux seules lois de la mécanique. En tout cas, un point nous semble incontestable, c’est qu’alors même que ces phénomènes complexes n’auraient pas d’autres principes élémentaires que les forces mécaniques, ils n’en constitueraient pas moins des propriétés réelles, constatées par l’expérience. On ne saura peut-être jamais à quoi s’en tenir sur l’existence d’un principe vital généralement relégué aujourd’hui parmi les entités métaphysiques. Qui a raison de M. Robin ou de M. Claude Bernard, l’un affirmant qu’une « idée créatrice et directrice » préside à la formation des organes, l’autre renvoyant tout a priori de ce genre aux rêveurs de la métaphysique, et expliquant toute organisation et toute vie par le simple jeu des activités cellulaires ? C’est encore un mystère à éclaircir dans l’état actuel de la science ; mais, la vérité fût-elle du côté de l’école de M. Robin, en quoi cette hypothèse sur les principes de la vie lui donnerait-elle le droit de confondre au fond les propriétés vitales avec les propriétés chimiques ou physiques des corps ?

De même M. Taine vient de faire une œuvre d’analyse remarquable où il met à jour le mécanisme et le jeu des principes de l’intelligence ; il nous montre fort bien par quelles associations, par quelles combinaisons, s’engendrent nos divers actes intellectuels. Voici où nous trouvons l’excès. Nous pouvons concevoir des doutes sur le principe de ces actes, comme nous en concevons sur un principe distinct des phénomènes vitaux ; nous ne voulons pas entrer en ce moment dans la question de l’existence et de la nature de l’âme comme la comprend une certaine école de spiritualistes. Cela fait-il qu’on puisse hésiter sur les attributs propres à l’être humain, tels que la personnalité, la volonté, la raison, la conscience, la moralité ? Tant que M. Taine se borne à décrire les groupes de sensations, d’images, d’idées qui font la matière élémentaire de nos jugemens et de nos raisonnemens de toute espèce, même de nos axiomes et de nos principes où l’a priori semble avoir la plus grande part, il reste dans la vérité, parce qu’il ne fait qu’une œuvre d’analyse. Du moment qu’il arrive à