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peuple ses munificences sous forme de bonnes lois qui n’ébranlent d’aucune façon le sentiment de la dignité humaine, qui font tomber les entraves des bras de l’industrie, qui offrent un nouvel excitant et une nouvelle récompense au travail, qui concilient chaque jour davantage aux institutions du pays la reconnaissance, la confiance et l’affection d’un peuple ami. »

En proposant la suppression du droit sur le papier, M. Gladstone décrivit, avec cette abondance de détails qui paraît intarissable et ne ménage pas toujours assez la patience des auditeurs, le rôle de cette substance dans la civilisation et dans l’industrie. Cette description avait été pour la plupart une révélation. Ils apprenaient que, si notre temps n’est ni l’âge d’or ni l’âge de fer, c’est bien au moins, selon l’appellation de Carlyle, l’âge de papier. Ils se voyaient transportés dans un monde fantastique où les murailles, les plafonds, les planchers, sont en papier, où les voitures sont en papier, les ornemens en papier, où la pierre, et le bois, et le marbre, et le linge, tout cède peu à peu la place au papier ; mais M. Gladstone appuyait principalement sur l’importance du papier dans un temps et chez un peuple où les masses, qui approchent de plus en plus du pouvoir, ont besoin de puiser des informations dans une presse à bon marché. Sans doute ce dernier argument fit tort aux autres dans l’esprit de la chambre des lords ; elle repoussa la suppression proposée, et ce refus ranima une fois de plus la vieille querelle entre les prétentions de la chambre haute et la prérogative séculaire de la chambre des communes en matière de budget. Toutefois le droit sur le papier fut aboli en 1861. Déjà la crise américaine avait éclaté, et le pays natal de M. Gladstone, le Lancashire, commençait à en ressentir vivement le contre-coup, le coton manquait, les manufactures s’arrêtaient ; pour comble de malheur, la production agricole diminuait en Irlande. Le budget de 1863, présenté au milieu des circonstances les plus tristes, quand la souffrance était partout, n’en fut pas moins un succès. M. Disraeli et son lieutenant sir Stafford Northcote, qui était assis à côté de lui, un crayon à la main, pour noter les points faibles du budget de M. Gladstone, n’attendirent même pas qu’il eût achevé son exposé, et disparurent. M. Gladstone portait une main hardie sur des préjugés redoutables en abolissant les immunités, désormais sans raison, établies en faveur de certaines corporations charitables dont les revenus n’étaient pas soumis à l’income-tax, et l’exemption des droits de succession accordée en Irlande aux legs qui avaient une destination analogue. Il dégrevait les petits revenus à l’aide d’une diminution de l’income-tax à leur profit. Enfin il annonçait des détaxes dont l’ensemble s’élevait à près de 5 millions de livres, et il offrait à la chambre