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traiter avec les étrangers, car on n’en avait pas fini avec les alliés, qui devaient occuper Tien-tsin et Formose jusqu’au parfait paiement de l’indemnité de guerre. Du reste on attendait l’arrivée des représentans de France et d’Angleterre, que l’empereur devait désormais recevoir à Pékin.

Ce fut une de ces circonstances où se décide la carrière d’un homme d’état. Le prince, dans un rôle si secondaire, ne pouvait rien pour la réforme de l’empire et le triomphe de ses idées. En Europe, il eût donné sa démission ; mais en Chine on a l’ambition plus patiente et plus dissimulée. Il s’effaça, attendant le moment d’agir. Ce moment ne pouvait tarder d’arriver. Les ministres n’étaient soutenus que par la faveur de l’empereur, et l’empereur allait mourir. Ce malheureux monarque était perclus depuis l’âge de trente ans par suite d’excès de tout genre. Glacé par la débauche dans son palais de Gehol autant que par la rigueur excessive de la température en Mandchourie, il s’affaiblissait de jour en jour. Enfin la mort vint le délivrer de ses souffrances et délivrer l’empire de son incapacité. Le 22 août 1861, il monta vers les routes éthérées sur le dos du dragon, selon les termes d’un décret dont nous allons raconter l’origine et les effets.

L’empereur Hien-foung, en fuyant son palais envahi par nos troupes, avait abandonné les deux impératrices épouses et l’impératrice douairière, et s’était fait suivre seulement de deux favorites choisies parmi les trois cents femmes de son harem. Ce procédé avait cruellement blessé les délaissées ; elles s’étaient vues exposées à tous les périls de l’invasion. Quoique le sérail eût été respecté par les « barbares, » les impératrices n’en gardaient pas moins un vif ressentiment de l’injure que l’empereur leur avait faite. Ne pouvant plus se venger sur le monarque, elles s’étaient mises à détester profondément ses amis. La satisfaction de les perdre, la perspective de régner sous le nom d’un prince enfant, les firent entrer avec empressement dans le parti du prince Kong. Pour stimuler leur antipathie, celui-ci proposa aux ministres ses collègues d’abdiquer le pouvoir en faveur de l’impératrice douairière. La réponse était facile à prévoir : ils furent unanimes à repousser cette ouverture. Dès lors leur sort fut fixé suivant l’usage ordinaire, et le prince Kong réussit à accomplir le grand acte politique qu’il méditait. Le 2 novembre 1861, paraît un décret du jeune empereur : on y déplore les malheurs de l’empire, on les impute aux ministres en exercice, on leur reproche l’enlèvement des officiers anglais et français et la guerre malheureuse qui s’en était suivie. Crime plus grand encore ! Ayant été convoqués en présence de l’empereur pour entendre la lecture d’un placet par lequel le censeur général suppliait le fils du ciel de conférer la régence à l’impératrice, et de lui