Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adjoindre un ou deux princes de la maison impériale, ces conseillers avaient osé se récrier contre cette proposition et « se livrer à des discussions sans fin. » En conséquence, ils étaient d’abord destitués de leurs fonctions, chassés du grand conseil de l’empire, et ensuite livrés à leurs successeurs, le prince Kong et ses nouveaux collègues, pour être jugés et punis selon les lois existantes. Il est à remarquer qu’en Chine, dans cet empire livré au despotisme le plus abject, tous les crimes, toutes les cruautés, politiques ou autres, se couvrent toujours d’un prétexte légal. Il n’est pas de mandarin si mince qui, faisant bâtonner jusqu’à la mort un malheureux paysan par vengeance ou par avidité, ne mette, comme on dit, la loi de son côté. Les ministres déchus furent jugés et condamnés, les uns au suicide, genre de supplice assez usité qu’on s’inflige en avalant des feuilles d’or roulées en boules, les autres à la décapitation publique. Les moins compromis furent exilés seulement.

Aussitôt après cette révolution de palais, le prince Kong, en possession du pouvoir, s’adjoignit des hommes connus par leurs relations bienveillantes avec les « barbares. » D’accord avec eux, il se mit immédiatement à l’œuvre pour faire triompher sa politique. La première nécessité était de se procurer de l’argent. Nous avons déjà dit avec quelle audace les fonctionnaires s’appropriaient les deniers de l’état. L’affaiblissement du pouvoir central avait accru l’avidité des vice-rois. Ils donnaient l’exemple des malversations, et les employés, à tous les degrés de la hiérarchie, se seraient fait un scrupule de ne pas marcher sur les traces de leurs chefs. C’est ainsi que le produit de l’impôt arrivait au trésor public considérablement réduit. Il fallait cependant pourvoir à la levée et à l’équipement de plusieurs armées pour achever la défaite de l’insurrection, il fallait aussi payer à la France et à l’Angleterre une indemnité de guerre de 60 millions.

Une des principales ressources de l’empire, c’est la douane. Les détournemens qui s’y commettent peuvent être de deux sortes. Ils sont directs et consistent en prélèvemens sur les sommes perçues, ou ils sont indirects et résultent de la complicité des marchands et des fonctionnaires, qui, pour un pot-de-vin convenu, fraudent volontiers le trésor par une application inexacte des droits ; mais hâtons-nous d’ajouter que, si les employés de la douane chinoise ne se faisaient pas faute de commettre la première de ces prévarications, les Européens de leur côté, dans les ports ouverts au commerce, ne se faisaient point scrupule de donner l’exemple de l’autre. Ils traitaient avec les agens chinois, et les décidaient tantôt à fermer les yeux sur la contrebande, tantôt à percevoir des droits inférieurs au tarif. Il est toujours fâcheux que le commerce de l’Occident montre de telles faiblesses aux peuples étrangers. Le mauvais effet en rejaillit