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contre les marchandises chinoises, imaginèrent alors d’introduire en Chine une substance que l’Inde anglaise récolte en abondance, et que les Chinois fument avec excès au grand détriment de leur santé, l’opium. Le gouvernement de Pékin lutta longtemps contre la propagation de cette substance, les Anglais persistèrent à l’importer dans les ports de l’empire. C’était pour leur commerce une question de vie ou de mort. Ils organisèrent une contrebande avouée, et quand la cour de Pékin, forte de son droit, voulut faire respecter ses prohibitions, les Anglais n’hésitèrent pas à défendre les armes à la main leur trafic illégitime. Aujourd’hui l’on consomme en Chine pour 230 millions d’opium d’importation étrangère, sans compter celui qu’on cultive dans le pays. Ainsi se trouve rétablie la balance du commerce, qui non-seulement ne se solde plus en numéraire par l’Europe, mais encore donne en faveur de celle-ci un léger excédant de l’importation sur l’exportation. Et voilà comment par la paix et par la guerre, avec un admirable esprit de suite et une habileté qui méritait peut-être d’être employée à une meilleure fin, les Anglais ont fondé leur commerce en Chine, alors que nous n’avons rien su faire de sérieux encore. Veut-on connaître la différence de notre navigation et de la navigation anglaise dans ce pays pour l’année 1864 ? L’Angleterre a fait entrer dans les ports chinois pendant cette année 3,939 navires, la France 122 ; l’Angleterre a fait sortir des mêmes ports 3,986 bâtimens, la France 125. Inutile d’insister sur bs conséquences de ce rapprochement, bien plus pénible encore pour nous, si nous ajoutons que Hambourg et le Danemark laissent également dans les mêmes ports notre navigation fort loin en arrière de la leur.

Nous ne sommes pas un peuple de navigateurs, et quand la nécessité nous pousse hors de notre pays, c’est avec l’espoir d’y rentrer au plus vite. La France est agricole et guerrière, et, bornant ses soins à fortifier sa marine militaire, elle se résigne volontiers, trop volontiers, à l’infériorité de sa marine commerciale. Toutefois une partie de cette dernière est faite pour nous apporter quelques consolations, je veux parler des Messageries impériales. Le succès de cette entreprise est le prix légitime d’une prudente, mais constante initiative. Par un contraste remarquable, tandis que notre marine de commerce est primée dans les mers de Chine même par les villes hanséatiques et par le Danemark, les Messageries impériales françaises font, dans la traversée d’Asie en Europe, une concurrence heureuse à la puissante Compagnie péninsulaire et orientale anglaise ; les paquebots de la ligne française emportent à travers l’Égypte, par le canal de Suez, deux ou trois cents passagers, la plupart anglais, pour l’Inde et la Chine, tandis que la ligne